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Marc-Antoine DÉSAUGIERS (1772-1827) - L'atelier du peintre

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Marc-Antoine DÉSAUGIERS (1772-1827) - L'atelier du peintre ou Le portrait manqué Jaloux de donner à ma belle Un duplicata de mes traits, Je demande quel est l'Apelle Le plus connu par ses portraits. C'est, me répond l'ami Dorlange, Un artiste nommé Mathieu. Il prend fort peu... Mais, ventrebleu ! Quel coloris, quelle grâce, quel feu ! Il vous attrape comme un ange ; Et loge près de l'Hôtel-Dieu, Vite, je cours chez mon Apelle ; J'arrive et ne sais où j'en suis ; Son escalier est une échelle, Et sa rampe une corde à puits. Un chantre est au premier étage, Au second loge un chaudronnier, Puis un gainier, Un rubanier, Puis au cinquième un garçon cordonnier... Je reprends haleine et courage, Et j'arrive enfin au grenier. J'entre, et d'abord sous une chaise Je vois le buste de Platon ; Sur un Hercule de Farnèse S'élève un bonnet de coton ; Un briquet est dans une mule, Dans un verre un peigne édenté ; Un bas crotté Sur un pâté, Un pot à l'eau sous une Volupté, L'Amour près d'un tison qui brûle, Et la Frileuse à son côté. Le portrait d'un acteur tragique Est vis-à-vis d'un mannequin ; Je vois sur la Vénus pudique Une culotte de nankin ; Une tête de Diogène A pour pendant un potiron ; Près d'Apollon Est un poêlon ; Psyché sourit à l'ombre d'un chaudron, Et les restes d'une romaine Sont sous l'oeil du cruel Néron. Devant une vitre brisée S'agite un morceau de miroir, Et sous la barbe de Thésée Est une lame de rasoir ; Sous un Plutus une Lucrèce ; Sur un tableau récemment peint Je vois un pain, Un escarpin, Une Vénus sur un lit de sapin, Et la Diane chasseresse Derrière une peau de lapin. Seul, j'admirais ce beau désordre, Quand un homme, armé d'un bâton, Entre, et m'annonce que par ordre Il va me conduire en prison. Je résiste... il me parle en maître ; Je lui lance un Caracalla, Un Attila, Un Scévola, Un Alexandre, un Socrate, un Sylla, Et j'écrase le nez du traître Sous le poids d'un Caligula. À ses cris, au fracas des bosses, Je vois, vers moi, de l'escalier S'élancer vingt bêtes féroces, Vrais visages de créancier. Sur ma tête, assiettes, bouteilles, Pleuvent au gré de leur fureur ; Et le traiteur, Le blanchisseur, Le perruquier, le bottier, le tailleur, Font payer à mes deux oreilles Le nez de leur ambassadeur. Au lieu d'emporter mon image, Comme je l'avais espéré, Je sors n'emportant qu'un visage Pâle, meurtri, défiguré. Ô vous ! sensibles créatures, Aux traits bien fins, bien réguliers, Des noirs huissiers, Des noirs greniers Évitez bien les périls meurtriers, Et que Dieu garde vos figures Des peintres et des créanciers !

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