Les Belles endormies de Yasunari Kawabata
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Les Belles endormies de Yasunari Kawabata (1899-1972) Roman, Japon, 1960
Résumé
Sur les conseils d'un vieil ami, Egushi franchit pour la première fois le seuil des « belles endormies », par curiosité.
Dans cette maison, connue des seuls
initiés et dont la porte ne s'ouvre que si l'on a atteint un âge vénérable, il est donné de passer la nuit au côté d'une jeune fille endormie.
Ces vieillards « de
tout repos », qui ont cessé d'être des hommes, s'adonnent, et Egushi en est persuadé, au plaisir malsain de posséder une jeune femme par le regard.
Une fois étendu auprès de son endormie, sa première réaction est de la détailler, de vouloir la réveiller.
Grâce à une pratique constante des plaisirs, Egushi
n'a pas encore sombré dans l'horreur d'être vieillard, et tente vainement de se persuader de son bon droit.
Mais bien vite, devant la vanité de ses efforts et
la fascination qu'il éprouve face à ce corps de nacre, son attitude se modifie.
La vue d'un sein, son odeur provoquent une vague de souvenirs lointains : son
premier enfant, l'odeur de nourrisson...
Et de ces souvenirs naissent les interrogations...
Le vieil Egushi n'avait jamais pensé qu'il puisse revenir une seconde fois.
Mais la découverte de ce qu'était réellement cette maison, de ce qu'il ne
rencontrerait jamais ces belles autrement qu'endormies, avait fait de cet endroit un lieu magique où peut s'accomplir la quête des vieillards et leur rêverie...
Une fois encore, le long cérémonial du thé accompli, il pénètre dans la chambre tendue de velours rouge.
Selon les dires de l'hôtesse, la jeune fille de cette
seconde nuit est expérimentée.
Comment peut-on être expérimentée alors que l'on dort d'un sommeil de plomb? Et pourtant, dès le premier regard, dès la
première bouffée de parfum, le vieillard comprend.
Une chaleur de jeune homme l'envahit et, troublé, il joue avec les dents de sa compagne, contemple son
visage, se noie dans son odeur, se prépare à céder à la tentation de rompre les règles.
Mais le signe évident d'une virginité l'arrête.
Il tente alors de la
réveiller et est surpris de l'entendre parler dans son sommeil.
Et, comme la première fois, après avoir détaillé sa compagne, une bouffée de souvenirs
l'envahit.
Un parfum de fleurs lui rappelle le mariage de ses trois filles.
Et le souvenir s'insinue, se prolonge, de détails en détails, la chaîne des images
d'instants heureux se complète, se ramifie jusqu'à ce que vienne le sommeil et son cortège de rêves.
La troisième visite que fit Egushi aux « belles endormies » fut marquée par sa rencontre avec une apprentie.
C'était la première fois qu'on l'endormait.
Elle
avait un visage ingénu et la première impression qu'il en eut fut la chaleur que dégageait son corps.
Egushi comprit que les vieillards venaient dans ce lieu
pour retrouver leurs joies enfuies.
Le sommeil imperturbable qu'exprimait tout le corps de la jeune fille plongea presque immédiatement le vieil homme dans
l'abîme de ses pensées.
Prit peu à peu corps l'image d'une jeune étrangère avec qui il avait passé une nuit à l'hôtel.
Curieusement, c'était des petits détails
qu'il gardait le souvenir le plus ému.
Sa rencontre, la valise qu'elle avait rangée alors qu'il dormait.
L'avant-dernière visite qu'Egushi rendit à la maison du souvenir fut triste.
Des visions de suicides et des envies d'assassinat effleuraient son esprit.
La fille
était bizarre, son odeur, clé des souvenirs, était forte, peut-être trop forte.
Une impuissance à la réveiller, des idées d'atrocités laissèrent de cette visite un
goût amer dans sa gorge.
Le jour de l'an était passé lorsqu'Egushi rendit son ultime visite à la chambre tendue de velours rouge.
Un vieillard y était mort peu de temps auparavant.
Une belle mort, en douce compagnie, escortée d'un cortège de réminiscences heureuses, sans doute.
Egushi passa cette dernière nuit au côté de deux
endormies.
La première, aux lèvres fardées, l'entraîna à la poursuite d'un baiser, voilà plus de quarante ans.
Mais le souvenir fut de courte durée, le vieillard
étant un peu dégoûté de la maison.
Se tournant vers l'autre jeune fille, il tenta de comprendre leurs motivations.
Et s'il mourait au milieu d'elles? N'est-ce
pas ce qu'il pourrait désirer de mieux? Sa dernière femme...
et la première? Le visage de sa mère lui apparut subitement, pour disparaître aussitôt.
Une
sensation de froid l'envahit soudain.
Une des filles est morte; le somnifère sans doute...
Pistes de lecture
La solitude sereine
Yasunari Kawabata est né à Osaka en 1899.
Une solitude immense semble peser sur ses épaules, et ce depuis son enfance.
La perte de ses parents et de
son unique soeur, la mort de son grand-père en 1914, alors qu'il était âgé de quinze ans à peine, vont profondément marquer l'écrivain.
Ecrite en 1914 et publiée onze ans plus tard, sa première oeuvre (Le Journal intime de ma seizième année) est tout entière centrée sur le thème de la mort.
Si
elle peut être considérée comme le point de départ de la perpétuelle recherche de sérénité qu'a exprimée l'auteur tout au long de son oeuvre, ce n'est
qu'avec La Danseuse d'Izu qu'il formulera l'essence de sa recherche.
L'observation attentive, parfois même un peu distante, de la nature et des sentiments
humains, la sagesse de la solitude sont autant de thèmes qui réapparaissent fréquemment dans ses écrits.
Le roman miniature
Cette approche esthétique et philosophique s'accompagne de la recherche d'un style neuf.
A près s'être essayé à tous les genres littéraires, même le
feuilleton, il invente le « roman miniature », genre où il excelle.
En quelques dizaines de pages, il développe l'essentiel, amène doucement le lecteur, au
rythme d'une respiration tranquille, à se laisser envahir par la sensibilité de ses écrits.
Non pas que ses personnages soient des écorchés vifs, ni d'une
sensiblerie hors de propos, non; ce que Kawabata met à jour, c'est le sentiment tel qu'il apparaît au travers des gestes quotidiens, au travers d'une pensée
réfléchie.
Sa trilogie (Pays de neige (1932), Nuée d'oiseaux blancs (1952), Le Grondement de la montagne (1954)) est tout entière tournée vers l'expression du sentiment
humain.
Dans Pays de Neige, la description minutieuse des manifestations externes de l'âme des personnages exprime avec force tout le drame de l'amour
impossible qu'éprouve une femme du pays des neiges pour un citadin, jusqu'à son aboutissement ultime : la détresse, le désespoir dont l'image est
renforcée par la description d'un gigantesque incendie.
Mais ne nous y trompons pas ! C e qui fait la substance de l'oeuvre de Kawabata, c'est moins le
sentiment en lui-même que son esthétique, sa beauté, l'insondable de l'âme.
La sensation pure
Les Belles endormies s'inscrit parfaitement dans la lignée de cette recherche.
L'utilisation de l'érotisme dans ce qu'il a de plus ambigu et de plus extrême
(la réduction du corps de l'autre à l'objet) et de plus délicat et sensible à la fois (son utilisation en tant que clé privilégiée des sentiments d'un vieillard) fait
de ce roman l'oeuvre la plus délicate et la plus attachante de toute la littérature érotique.
La lente transformation de l'état d'esprit d'Egushi qui, d'une
attitude agressive, évolue progressivement vers la fascination de l'autre d'abord, et de soi-même et de son passé ensuite, va doucement l'amener à
s'accepter tel qu'il est.
De souvenirs en souvenirs, Egushi prend conscience de sa vieillesse d'autant plus fortement qu'elle se trouve confrontée à un corps
jeune auquel il n'a rien à prouver.
Ne pas avoir à mentir aux autres amène sans doute une certaine franchise vis-à-vis de soi-même.
Le long périple que fit Egushi en quatre jours seulement n'aurait sans doute jamais été si doux s'il n'avait franchi le seuil des « belles endormies ».
Kawabata
a prouvé qu'il était possible de traduire la sensation pure, le sentiment esthétique en employant la palette des sentiments humains sans jamais tomber dans
le piège du sentimentalisme.
Le 16 avril 1972, dans un appartement en bord de mer, non loin de sa maison, Kawabata se donnait la mort.
Nous ne saurons jamais ce qui motiva son
geste.
Etait-ce une recherche de l'esthétique poussée dans ses ultimes retranchements?.
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