Le roman ne doit-il être ni un exutoire ni une tribune ?
Extrait du document
«
Le roman est un genre littéraire aux contours mouvants, caractérisé pour l'essentiel par une narration fictionnelle
plus ou moins longue, ce qui le distingue de la nouvelle (celle-ci étant traditionnellement un genre littéraire de faible
durée).
Le roman peut également être défini comme un ouvrage en prose, laissant une forte place à l'imaginaire.
Milan Kundera le caractérise comme « forme exploratoire de la vie » en tant qu'il se rapporte aux incarnations
diverses de la vie humaine au cours de l'histoire, dont il essaye de traduire, au moins formellement, la singularité.
Par exutoire, nous entendons le moyen d'extérioriser des sentiments violents, ou de nous libérer d'une contrainte.
Un
exutoire est donc ce qui nous permet de faire sortir de nous-mêmes notre colère, notre haine par exemple, il s'agit
d'un pur moyen que nous mettons au service de nos émotions pour que celles-ci cessent de nous étouffer
lorsqu'elles atteignent un haut degré d'intensité.
Une tribune est le lieu où un orateur prend la parole pour exposer ses idées.
Par extension, lorsqu'on parle d'une
tribune, on désigne la volonté d'un individu de faire comprendre à autrui une thèse qui lui tient à cœur, par des
moyens argumentatifs et rationnels.
Lorsque nous posons la question « le roman ne doit-il être ni un exutoire, ni une tribune ? » il faut bien voir que nous
posons en vérité une question définitoire pour le roman, une question qui cherche à cerner les contours de ce genre
mouvant, divers, aux formes multiples.
Cette question concerne donc l'identité même du roman, et porte plus
précisément sur les problèmes suivant : le roman est-il le lieu où les sentiments du sujet se donnent libre cours et
viennent affluer sans contrôle ? Le roman est-il le lieu où l'auteur expose des thèses de nature variéesphilosophiques, politiques, sociales…- tel un tribun devant une assemblée ? Mais il faut bien voir également qu'il
s'agit d'une question qui porte sur ce que le roman doit être, sur un certain idéal littéraire qu'il appartient à l'auteur
de réaliser : elle a donc également une dimension prescriptive.
Si dans un premier temps nous pouvons voir que le
roman, sous peine d'être de très piètre qualité, ne saurait être un exutoire ni une tribune, car l'art du romancier est
un art du récit qui ne doit pas être subordonné à des finalités autres que littéraires, nous verrons que néanmoins, à
la racine de tout roman, il y a bel et bien une forte activité émotionnelle et intellectuelle qui fournit au romancier
des matériaux.
Enfin, nous verrons que plus qu'exutoire ou tribune, le roman est le moyen de découvrir un sens à
notre vie.
La question au centre de notre travail sera de déterminer quels rôles occupent dans la genèse d'un roman l'activité
émotionnelle et le murissement des idées.
I.
Le roman ne saurait être ni exutoire ni tribune, il est le lieu d'un travail sur la langue
a.
Le roman n'est pas le lieu d'une exposition indécente et non travaillée de nos vécus intimes
Nous commencerons par dire que le roman, effectivement, ne doit pas être un exutoire dans la mesure où se réduire
à cette dimension reviendrait à limiter considérablement ses ambitions.
En effet, un exutoire est le moyen pour un
individu de se libérer d'une forte tension émotionnelle : il s'agit d'un réceptacle où l'individu extériorise brutalement
ce qu'il ressent sans se soucier de forme littéraire.
Certes, le roman qui est un genre dont l'identité est mouvante,
peut fort bien adopter celle-ci, n'être effectivement qu'un exutoire où une personne empirique va déverser le flot de
ses émotions : peine, colère, jalousie… Mais comme nous l'avons vu en introduction, la question qui nous est posée
a également une valeur prescriptive : il s'agit de se demander ce que le roman doit être, notamment pour être
réussi.
Dans ce cas, nous pouvons dire que le roman ne saurait être un exutoire, car une telle définition de sa
nature impliquerait l'absence de tout travail formel, de toute attention portée à la langue.
Or un roman est à l'égal
de toute autre forme littéraire le théâtre d'une attention extrême portée à la langue, quand bien même il se
présente comme une extériorisation tumultueuse de sentiments humains.
Par exemple, pour les romantiques, l'art est
l'expression d'une longue plainte, c'est-à-dire l'expression d'une subjectivité à la sensibilité suraigüe.
Douleur de
l'amant malheureux (Les souffrances du jeune Werther, Goethe), douleur de naître après le temps de l'héroïsme (La
confession d'un enfant du siècle, Musset), voilà les sentiments que l'art se voyait justifié à exprimer prioritairement à
cette époque.
Mais il faut bien voir que la douleur de l'artiste est toujours travaillée, réfléchie, et jamais livrée telle
quelle à son public.
Le roman ne doit donc pas être un exutoire, s'il veut avoir la dignité des autres formes
littéraires..
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