Le récit doit-il nous ramener à la réalité ou au contraire nous en détourner ?
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A Rebours
de Huysmans présente ainsi un personnage vivant en marge du temps,
simplement occupé à agencer le décors de sa maison pour s'en faire un univers
idéal, c'est-à-dire un système qui exclue tout ce qui lui est extérieur, jusqu'à
son créateur qui décide finalement d'abandonner la maison.
II
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Bien entendu, il n'y aurait pas de sens à envisager un roman qui ne soit pas
entièrement construit sur des éléments véritables. En ce sens, le vécu de
l'auteur, ses expériences et ses problématiques sont la source absolue et
nécessaire de la fiction romanesque. Toutefois, le roman est caractérisé par un
principe d'ouverture : au contraire d'une conception mallarméenne de la poésie,
vouée à la recherche d'un langage pur de tout référent, le roman est bien
souvent mis au service d'une compréhension non littéraire du réel. Tout au long
du cycle des Rougon-Macquart, Emile Zola ne se contente pas de produire une
oeuvre romanesque : son « naturalisme » consiste à expérimenter dans la fiction
des situations qui permettent d'alimenter une réflexion sur la société du XIXe
siècle.
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Cependant, la fonction mimétique du roman ne s'accomplit pas de manière
littérale : non seulement l'auteur peut choisir de s'attacher à représenter des
figures imaginées par ses personnages ( les cavaliers exotiques rêvés par la
Madame Bovary de Flaubert), mais la description peut encore s'attacher à des
motifs fantasmés par l'auteur lui-même. Aussi le genre fantastique
présente-t-il une difficulté, puisque pour bien des lecteurs, un texte
fantastique fait plus que de permettre une échappée fantasmatique hors des lois
du réel : il intègre les éléments surnaturels aux descriptions les plus
ordinaires, et ce faisant tâche d'agir par contamination sur le réel lui-même.
De ce point de vue, le roman a bien pour fonction le réel, mais il s'agit dès
lors d'une fonction de conversion : le roman fait du réel une fiction, dans le
même temps où la réalité quotidienne offre un ancrage référentiel au roman.
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Pourtant, une attention plus précise accordée à la littérature fantastique
permet de supprimer cette dichotomie initiale entre le réel et la fantaisie :
Les textes d'Edgar Poe - à vrai dire plus souvent nouvelles que roman - tels que
La chute de la maison Usher sont bien des textes fantastiques, mais dont
le caractère surnaturel n'est jamais que le prétexte à la construction d'un
paysage mental, qui inspire les poèmes du « Spleen » de Baudelaire. Chez Poe, la
notion de surnaturel n'existe que pour en symboliser une autre, celle-ci très
humaine, qui est la notion d'impuissance.
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