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« Le philosophe se sert de la fiction comme d'une grille à travers laquelle l'esprit du lecteur doit saisir une intention et une pensée. Dans la mesure où elle renvoie à cette pensée, la fiction est un prétexte et le lecteur doit sentir comme telle ». Vos connaissances du conte voltairien vous permettent-elles d'expliquer cette affirmation ?

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Dans Candide, l'intrigue est quasiment absente : les personnages surgissent et disparaissent de manière aléatoire, les scènes sont très courtes. La seule véritable intrigue est philosophique : c'est celle de l'initiation intérieure de Candide.    II Importance de la fiction tout de même   Néanmoins l'auteur, qu'il soit Diderot, Voltaire ou Montesquieu, choisit pour s'exprimer la forme du roman ou du conte : c'est donc que la fiction présente un intérêt, et ajoute à la pensée : elle remplit le devoir de "movere" et "placere" : si le lecteur est ému par les mésaventures des personnages, ou s'il rit, il a plus de chances d'adhérer à la doctrine de l'auteur. Voltaire semble se faire un devoir de faire toujours rire ses lecteurs, grâce à son ironie acérée. Dans le Chapitre I du conte L'ingénu, qui met en scène l'arrivée d'un sauvage Huron au coeur de la Bretagne, le Huron est accueilli par le curé d'un prieuré qui le questionne sur ses amours; il fait l'éloge de "Mlle Abacaba", une amie de son ancienne nourrice, en des termes excessifs, avec des comparaisons louangeuses qui frisent le grotesque. Ce morceau est un produit de la fantaisie de l'auteur qui s'amuse et joue avec le genre de la louange, et dans le même temps fait sourire ses lecteurs (le thème amoureux donne dès le départ une tonalité plus légère au texte).  On peut évoquer aussi le cas des Lettres persanes, de Montesquieu : ce n'est plus un conte, mais un vrai "roman philosophique" qui aborde par le biais des réflexions des deux Persans exilés à Paris plusieurs thèmes sérieux : la politique, la liberté, l'amour. L'intrigue fictionnelle est assez maigre : Usbek, l'un des Persans, reçoit régulièrement des nouvelles de son Sérail et s'inquiète de savoir si toutes les femmes du harem restent sages et fidèles; l'une d'elle, Roxane, se révolte contre son assujettissement et, dans un coup de théâtre, provoque une rébellion du Sérail puis se suicide. Cette intrigue est en grande partie un prétexte aux réflexions de Montesquieu, mais elle occupe toute la fin et tout le dénouement du roman, et tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin.   III.

« Cette citation met en regard deux mondes : d'un côté, le monde du philosophe, qui manie "l'intention" et la "pensée", c'est-à-dire les idées; de l'autre, le monde de l'écrivain et du lecteur, qui repose sur la "fiction".

Ces deux mondes sont supposés se rencontrer dans le genre de la fiction philosophique.

Les contes philosophiques de Voltaire peuvent en fournir un parfait exemple : ils sont constitués de courtes fictions, qui reposent sur l'art de la simplification et du grossissement, dans le but de transmettre une idée précise du philosophe.

Ce genre répond au triple impératif qui régit une partie de la littérature au XVIIIe : "docere, placere, movere" : instruire, plaire, émouvoir.

Or, cet impératif investit aussi le philosophe d'un devoir d'écrivain : on peut se demander comment s'interpénètrent fiction et réflexion dans le genre du conte philosophique, et s'il est possible d'établir la prééminence de la réflexion sur la fiction. I Le conte philosophique : la fiction au service de la pensée _ Si "placere" et "movere" sont des moyens, "docere" est le but principal du conte philosophique : il est motivé par la volonté de l'auteur de soumettre à un regard très critique des thèmes essentiels : la philosophie, mais aussi la politique, l'économie, la société dont il est contemporain.

Le conte philosophique, en particulier ceux de Voltaire, fournit un très bon exemple : les enjeux de Candide dépassent la fiction, il s'agit de faire une critique acerbe de la philosophie de Leibniz, qui selon l'auteur conduit à un optimisme niais et à la conviction fausse que "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes"; dans le récit, Pangloss est le principal dispensateur de la doctrine leibnizienne, or c'est en réalité un ignorant, ce qui est une manière détournée de dire que la doctrine leibnizienne ne trouve de succès qu'auprès des ignorants et des idiots...

Les désillusions successives de Candide servent à démontrer qu'un esprit animé par cette doctrine n'est pas préparé aux réalités de ce monde (exemple : la rencontre de l'esclave amputé, qui indigne Candide).A un autre endroit de la narration, l'auteur met en scène des jésuites qui exploitent les indigènes au Brésil; ce qui lui permet de faire une critique, sociale, de l'iniquité des jésuites; de manière détournée, il critique l'influence trop forte des jésuites auprès du roi de France. _ L'auteur est dans une position délicate : il doit inventer une fiction séduisante, pour gagner l'adhésion du lecteur; mais en même temps montrer qu'elle n'est qu'un prétexte pour un sujet plus sérieux.

Dans les contes de Voltaire, cela se traduit par une simplification, un grossissement volontaire des caractères et des situations : Candide est un personnage psychologiquement pauvre, qui au début est totalement passif, puis se contente de s'étonner et de s'attrister; et qui à la fin fait preuve de sagesse.

Mais on n'est pas ému par sa passion pour Cunégonde : le lecteur sent qu'elle n'est qu'un ornement pour mieux faire passer une idée, et que ce conte n'est pas du tout une histoire d'amour.

Dans Candide, l'intrigue est quasiment absente : les personnages surgissent et disparaissent de manière aléatoire, les scènes sont très courtes. La seule véritable intrigue est philosophique : c'est celle de l'initiation intérieure de Candide. II Importance de la fiction tout de même Néanmoins l'auteur, qu'il soit Diderot, Voltaire ou Montesquieu, choisit pour s'exprimer la forme du roman ou du conte : c'est donc que la fiction présente un intérêt, et ajoute à la pensée : elle remplit le devoir de "movere" et "placere" : si le lecteur est ému par les mésaventures des personnages, ou s'il rit, il a plus de chances d'adhérer à la doctrine de l'auteur. Voltaire semble se faire un devoir de faire toujours rire ses lecteurs, grâce à son ironie acérée.

Dans le Chapitre I du conte L'ingénu, qui met en scène l'arrivée d'un sauvage Huron au coeur de la Bretagne, le Huron est accueilli par le curé d'un prieuré qui le questionne sur ses amours; il fait l'éloge de "Mlle Abacaba", une amie de son ancienne nourrice, en des termes excessifs, avec des comparaisons louangeuses qui frisent le grotesque.

Ce morceau est un produit de la fantaisie de l'auteur qui s'amuse et joue avec le genre de la louange, et dans le même temps fait sourire ses lecteurs (le thème amoureux donne dès le départ une tonalité plus légère au texte). On peut évoquer aussi le cas des Lettres persanes, de Montesquieu : ce n'est plus un conte, mais un vrai "roman philosophique" qui aborde par le biais des réflexions des deux Persans exilés à Paris plusieurs thèmes sérieux : la politique, la liberté, l'amour.

L'intrigue fictionnelle est assez maigre : Usbek, l'un des Persans, reçoit régulièrement des nouvelles de son Sérail et s'inquiète de savoir si toutes les femmes du harem restent sages et fidèles; l'une d'elle, Roxane, se révolte contre son assujettissement et, dans un coup de théâtre, provoque une rébellion du Sérail puis se suicide. Cette intrigue est en grande partie un prétexte aux réflexions de Montesquieu, mais elle occupe toute la fin et tout le dénouement du roman, et tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin. III.

Le rôle ambigu de la fiction _ Dans le conte philosophique fiction et réflexion sont inséparables : la citation donne à la réflexion une prééminence sur la fiction; or, on garde aussi du conte voltairien l'image d'un bijou littéraire : Voltaire définit dans ses contes une esthétique de l'instantané, du rapide (les chapitres sont des scénettes) de l'image frappante; il invente un style qui mise sur l'effet immédiat, rire ou indignation, qui se rapproche en cela d'un style journalistique.

En revanche, ces contes ne permettent pas à Voltaire de définir un "système philosophique" qui lui serait propre : il s'appuie surtout sur une critique de la pensée leibnizienne, et, en général, de l'obscurantisme, de la superstition et de l'ignorance. _ Cette alliance crée un genre qui reste ambigu : on le voit dans le cas des Lettres persanes, dont on s'est longtemps demandé si c'était un essai philosophique ou un roman.

Au moment de sa parution, il a été admis comme texte philosophique, mais on l'étudie aujourd'hui comme un roman. Le triptyque "docere, placere, movere" présente ces trois impératifs comme inséparables, et s'applique très bien au genre du conte philosophique, et du conte voltairien : cela est valable pour une époque particulière, dans laquelle les philosophes (Montesquieu, Voltaire, Rousseau) étaient aussi des écrivains.

Cette alliance contribue à produire un genre inclassable, celui de la fiction philosophique : ce genre néglige certains éléments traditionnellement essentiels à la fiction, comme l'épaisseur psychologique des personnages, ou la vraisemblance des situations et des enchaînements, au profit d'une idée qu'il faut rendre éclatante aux yeux du lecteur.

Mais de manière "réciproque", la forme du conte ne permet pas d'exposer un véritable système philosophique : le conte voltairien transmet quelques idées fortes, mais nous communique surtout la jouissance d'une écriture intelligente.. »

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