Le génie de BAUDELAIRE
Extrait du document
«
Baudelaire fut toute sa vie un malheureux.
Il souffrit de sa solitude morale, de sa gêne
matérielle, de ses déceptions de carrière, de ses tares physiques.
Toutes ces misères
expliquent la profondeur de son « spleen », auquel il tenta d'échapper avec une obstination
vaine et pathétique.
L'ANGOISSE DU SPLEEN.
Le spleen, chez Baudelaire, n'est pas seulement une forme exaspérée du mal du siècle.
Certes,
le dégoût du monde contemporain arrache au poète des cris de lassitude ou de révolte.
Mais
son état ne rappelle ni la mélancolie de Lamartine, ni le désenchantement de Vigny, ni le
pessimisme philosophique de Leconte de Lisle.
C'est un état pathologique, où s'abîme dans un
morne ennui un malade meurtri par les épreuves, ruiné dans ses espérances.
Sous le même titre
Spleen, quatre poèmes d'une facture volontairement pesante, d'un rythme lugubre, rendent le
même son désolé, traduisent dans sa profondeur et son originalité la détresse de l'âme
baudelairienne.
D'autres poèmes décrivent des aspects particuliers de ce spleen et révèlent les
causes de cette détresse.
L'obsession de l'exil.
La solitude morale inspire souvent au poète des visions d'exil.
Baudelaire se croit maudit parmi les hommes; et il traduit son désarroi en symboles.
Dans
L'Albatros, il illustre avec vigueur le thème, un peu banal après Vigny, du génie dépaysé dans
une société médiocre qui le méconnaît et qui le raille.
Dans Le Cygne, il évoque, au hasard
d'une rêverie sinueuse, l'image d'Andromaque exilée à la cour de Pyrrhus, puis celle d'un cygne
égaré sur le pavé parisien et, méditant sur ces deux spectacles de détresse, embrasse en un
même élan de pitié toutes les victimes solitaires du destin :
Ainsi, dans la forêt où mon esprit s'exile,
Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor!
Je pense aux matelots oubliés dans une île,
Aux captifs, aux vaincus!...
à bien d'autres encor!
L'obsession du temps.
Les déceptions entretiennent dans l'âme du poète la hantise du
temps qui fuit et de la vie qui s'use.
Dans L'Ennemi, il se compare à un jardin ravagé par les
pluies d'automne et où peut-être, faute de sève, ne pousseront plus de nouvelles fleurs.
Dans
Le Guignon, il exprime le découragement d'un artiste qui se sent éternellement inférieur à la
tâche proposée.
Dans Chant d'automne, il associe à la pensée de l'hiver qui vient l'attente
anxieuse d'une mort prochaine.
Dans L'Horloge, il énonce le tragique avertissement qui semble
chuchoté au passage par chaque seconde écoulée :
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans
tricher, à tout coup! c'est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente;
souviens-toi! Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
L'APPEL DE L'IDÉAL
Baudelaire semble parfois s'être complu à évoquer des images sinistres, comme s'il trouvait une
volupté et une dignité dans la douleur; il voulut pourtant fuir son mal et s'envoler jusqu'aux
régions éthérées où son âme, purifiée par la vertu, exaltée par la beauté, retrouverait la joie de
vivre.
La soif de pureté.
Baudelaire, élevé dans la religion catholique, conserva toujours une
sensibilité chrétienne, qui le faisait vibrer d'un intense désir de pureté.
L'idée du péché originel
l'obsède.
Lui-même a conscience d'être déchu; et, sans trouver dans sa volonté les ressources
nécessaires pour conjurer son mauvais destin, il garde la nostalige de la vertu.
Cette
contradiction interne explique l'inspiration complexe d'Un Voyage à Cythère, où le poète
découvre dans la volupté même une amertume et, pénitent tragique, demande à Dieu de lui
permettre « de contempler son coeur et son corps sans dégoût ».
Elle explique aussi la ferveur
des poèmes consacrés à Mme Sabatier, qui lui apparaît comme l'image vivante de toutes les
vertus et comme l'instrument possible de son rachat; des profondeurs de son enfer, il fait
monter un cri vers l'ange de ses pensées, dont il implore l'intercession bienveillante :
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!
(Réversibilité)
Le rêve de beauté.
Baudelaire a toujours rendu un culte à la beauté; et l'Art lui est apparu
comme « le meilleur témoignage » de la dignité humaine, l'instrument le plus précieux de.
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