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L'acacia (Claude Simon )

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La pluralité et l'omniprésence des précisions, nous l'avons vu, entravent la fluidité du texte. Mais elles jouent également un rôle dans l'imaginaire : les répétitions martèlent l'esprit du lecteur et y impriment des visons parcellaires, comme le fait la guerre. Les figures d'autocorrection « le troisième (le troisième jour) » (l.1), « on, c'est-à-dire… » (l.4), « la maison (la ferme ?) ». Chaque personnage est qualifié par au moins un nom, un adjectif ou un métier : « le chauffeur de camion », « le sous-officier », « il (le fantôme, le revenant) » (l.13). Les mots semblent insuffisants pour dire l'essence des objets et des sujets : c'est dans la multiplicité des qualificatifs que Simon se rapproche le mieux de son idée du roman. Il utilise, par exemple, deux comparatifs pour une même scène : « comme aurait pu le faire un mannequin de son ou un sac de pommes de terre » (l.22). A la ligne 11 encore, le narrateur fait une parenthèse dans la parenthèse : «…de paysans – ou plutôt de vagabonds) ». L a précision est donc mise en abyme, ce qui souligne son caractère inhérent au procédé d'écriture.  

« Assimilé au mouvement du « nouveau roman », Claude Simon publie L'acacia en 1989, un ouvrage dans lequel une composition de scènes parallèles se déroulent pendant les deux premières guerres mondiales.

Il y dénonce « la mort absurde au combat », mais s'attache également à saisir l'essence de la guerre, intemporelle et universelle, qu'il qualifie de « couche la plus profonde de notre temps historique ».

L'écoulement du temps est une des préoccupations majeures de Simon : son récit est un flux ininterrompu de mots, une accumulation de précisions, à l'image du temps qui fuit inexorablement…Sa production écrite semble être immédiate : les pensées du narrateur sont retranscrites en cours de récit, comme si ce dernier n'avait pas pu se corriger.

Comment l'écriture, qui est traditionnellement congélation de la pensée, parvient-elle à feindre l'écoulement temporel ? Cet extrait, intitulé « 17 mai 1940 », est un récit continuel, il est caractérisé par une accumulation de précisions, et par un temps d'écriture original. Il s'agit d'un extrait sans fin ni début, ces quarante lignes n'ont pas permis à Simon de finir sa phrase.

L'écriture y est donc continuelle, s'adaptant ainsi à l'inexorable déroulement des actions guerrières. Il est difficile de discerner des mouvements dans ce texte puisqu'il prend la forme d'une poursuite ininterrompue du temps ; néanmoins les lignes 1 à 13 sont le récit d'une action présente (les deux militaires se rencontrent), les lignes 14 à 26 racontent le début de l'anecdote du chauffeur de camion, et les lignes 27 à 40 sont la chute de cette histoire, plus éloignée sur l'échelle du temps (« le lendemain matin », ligne 26).

C'est donc l'action qui nous permet de distinguer les différentes pauses dans le récit, bien plus que le style.

La structure de ce texte est originale, Simon est d'abord inspiré par Proust ou William Faulkner, puis il développe sa propre syntaxe, d'une richesse et d'une longueur parfois étonnante (certaines phrases dans L'acacia s'étalent sur plusieurs pages).

Le point n'intervient que très rarement, il est d'ailleurs absent dans ce passage. La ponctuation est extrêmement présente dans ce texte, ces pauses dans le récit : parenthèses, virgules, point-virgule, deux points, points de suspension ou encore guillemets ; viennent sans cesse freiner le déroulement de l'action.

Paradoxalement, si cette dernière est immédiate, elle est aussi saccadée, constamment empêchée par un style redondant.

A la ligne 13 par exemple, « ceci : » est un pléonasme : « ceci » ou « : » auraient suffis, cependant Simon met deux fois en valeur la proposition à venir.

Le ralentissement de l'action s'opère donc par de constants retours en arrière et précisions : « le chauffeur était toujours allongé dans la même position, les bras protégeant toujours la tête » (l.29) ; ou encore : « les écussons aux couleurs mariales (blanc et bleu)» (l.10).

Les répétitions sont omniprésentes et créent une impression de progression laborieuse dans l'écriture, les termes « le chauffeur de camion » et « le sous-officier » sont respectivement présents quatre et sept fois dans le texte ; un procédé commun à la littérature russe, que l'on retrouve chez Dostoïevski notamment, dans Le joueur, où le nom complet d'Alexis Ivanovitch revient constamment.

La syntaxe de Simon s'allonge donc, en apparence indéfiniment, par des procédés d'entrave liés à la mémoire.

Le narrateur modifie son texte en même temps qu'il l'écrit, il y apporte des précisions semble-t-il en temps réel. Car « trouver le mot juste » est le fondement de l'entreprise littéraire de Claude Simon.

Ce récit continuel dans sa forme, cette multitude de propositions juxtaposées, de comparaisons, périphrases et accumulations, dévoile une partie du mécanisme d'écriture.

Ce texte semble n'avoir pas subit le traditionnel travail de correction de l'écrivain : le narrateur cherche ses mots tandis que le lecteur les lit : « (les vareuses qu'ils portaient maintenant sans ceinturon, simplement pendantes, maculées de tâches, comme des vareuses d'ouvriers ou de paysans - ou plutôt de vagabonds) » (l.12, 13).

Au lieu d'un récit retravaillé, épuré, corrigé, Simon propose un texte à l'apparence d'un premier jet.

On ne trouve pas de marques d'oralité (hormis le dialogue de la ligne 32), cependant ce débit rapide de mots fait certainement référence aux paroles précipitées du militaire racontant son anecdote.

Le narrateur écrit lui aussi comme s'il ne pouvait revenir en arrière pour effacer ses brouillons ; il arrive qu'un terme ne convienne pas, il lui trouve aussitôt un équivalent plus proche de la réalité : « (le fantôme, le revenant) » (l.13) ; « même pas essuyée, noires de sang coagulée » (l.31).

A la recherche du bon mot, Simon écrit donc un récit de guerre, certes, marqué par la violence « découpé à la hache » (l.3), « bourrer de coups de pied le corps inerte » (l.21), « un tas de ferrailles en train de se consumer » (l.39), mais davantage encore par un style étouffant, qui semble sans fin (avec l'anaphore en « et » des lignes 16 et 17, qui allonge la phrase). Ce passage est donc un récit continuel à la syntaxe ample et ralentie par de multiples retours en arrière.

Parmi. »

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