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Julie de Lespinasse

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En juin 1772, au cours d'une fête donnée par le financier Henri Watelet dans sa résidence de Moulin-Joli, commençait un amour qui, annonçant les orages du romantisme, devait inspirer les pages les plus brûlantes, sans doute, de notre littérature. Lui, que tous les hommes admiraient depuis qu'il avait publié son Essai général de Tactique, à qui toutes les femmes désiraient plaire, se nommait Jacques-Antoine-Hippolyte de Guibert. Elle, animatrice de ce salon qui avait supplanté celui de la marquise du Deffand dont elle avait été la lectrice, amie de d'Alembert ­ elle habitait avec lui rue de Bellechasse ­, de Condorcet, de Turgot et autres encyclopédistes, s'appelait Julie de Lespinasse. Il avait vingt-neuf ans et elle quarante. Rien moins que belle, marquée par la petite vérole, mais grande, bien faite, naturellement élégante, elle attirait par sa grâce et retenait par son esprit. Il émanait d'elle un charme que son entourage s'évertuait à définir et auquel Guibert le séducteur s'abandonna.

« Julie de Lespinasse En juin 1772, au cours d'une fête donnée par le financier Henri Watelet dans sa résidence de Moulin-Joli, commençait un amour qui, annonçant les orages du romantisme, devait inspirer les pages les plus brûlantes, sans doute, de notre littérature. Lui, que tous les hommes admiraient depuis qu'il avait publié son Essai général de Tactique, à qui toutes les femmes désiraient plaire, se nommait Jacques-Antoine-Hippolyte de Guibert.

Elle, animatrice de ce salon qui avait supplanté celui de la marquise du Deffand dont elle avait été la lectrice, amie de d'Alembert elle habitait avec lui rue de Bellechasse , de Condorcet, de Turgot et autres encyclopédistes, s'appelait Julie de Lespinasse.

Il avait vingt-neuf ans et elle quarante.

Rien moins que belle, marquée par la petite vérole, mais grande, bien faite, naturellement élégante, elle attirait par sa grâce et retenait par son esprit.

Il émanait d'elle un charme que son entourage s'évertuait à définir et auquel Guibert le séducteur s'abandonna. Ils se revirent, et souvent, quand l'amant bien-aimé de Julie, le jeune marquis de Mora, fils de l'ambassadeur d'Espagne, eut quitté Paris pour rentrer à Madrid.

Lorsque Guibert partit à son tour, vers l'Allemagne, elle essaya de comprendre la nature du sentiment qui accaparait sa pensée, l'écartait de Mora et désormais orientait sa vie.

Elle comprenait bien que Guibert, soucieux avant tout de sa gloire, ne pouvait se contenter d'aimer, et elle respectait son ambition car elle le voulait grand ; elle devinait qu'elle aurait beaucoup à souffrir, mais il était trop tard pour qu'elle tentât de se ressaisir : "Que pensez-vous, demandait-elle dans une de ses premières lettres, d'une âme qui se donne avant de savoir si elle sera acceptée ?" Pendant les quatre ans qui lui restent à vivre et qui, après la joie bien courte du retour, ne sont qu'une longue agonie, Julie ne cesse de s'interroger.

Vouée au malheur depuis son enfance humiliée de bâtarde pauvre, minée par la tuberculose, ravagée par l'insomnie, intoxiquée d'opium, elle est hantée par l'idée de la mort ; elle s'élance audevant de la mort en s'anéantissant dans cet amour qu'elle considère d'abord comme une folie, puis comme un crime, et qu'elle analyse inlassablement tout au long de cette abondante correspondance traversée de cris, d'imprécations et de sanglots.

La soumission à la fatalité elle parle de charme, de sortilège s'y associe étrangement à la lucidité la plus exigeante.

L'homme à qui elle écrit : "Vous devriez m'aimer à la folie, je suis parfaite car je vous aime en perfection", ou encore "Je vis toute en vous, j'existe parce que je vous aime", ou encore : "De tous les instants de ma vie, Mon ami, je souffre, je vous aime et je vous attends", cet homme, elle le sait, diffère totalement du colonel-comte que les salons se disputent, qui est non seulement un stratège génial, mais aussi un auteur dramatique à qui l'on prête du talent et que la Cour va bientôt applaudir.

A celui-là qu'elle juge frivole, égoïste, inconstant et qui, à son délire, ne répond que par de la tendresse et de la patience, elle avoue que même en s'abandonnant, elle ne se livre pas tout entière, qu'elle l'aime plus encore qu'il ne veut qu'aimer ou mourir. Et pourtant sa véritable passion ce n'est pas tant cet amour dans lequel elle est seule, que le remords d'avoir trahi Mora, de l'avoir tué.

En effet, presque agonisant il est tuberculeux comme elle Mora s'est mis en route pour la revoir et il a succombé dans une auberge de Bordeaux en répétant : "Je meurs pour vous." Est-ce le chagrin ne le croit, qu'elle qui, comme certains de ses amis le pensent, la terrasse alors ? Est-ce l'horreur de sa faute, ce que nous pourrions supposer ? Non.

"Le coup mortel" c'est le mariage de Guibert qui le lui porte.

Il lui semble qu'il était destiné à la punir, à venger Mora.

Elle va donc s'éteindre "délivrée du fardeau qui l'accable".

Tout est accompli.

Avant d'expirer, veillée par l'admirable d'Alembert, qui lui garde toute sa confiance et souffre sans deviner ce qui l'éloigne de lui, elle trace, pour Guibert qu'elle refuse de laisser approcher parce qu'une crise de convulsions l'a défigurée : "Si jamais je revenais à la vie, j'aimerais encore l'employer à vous aimer, mais il n'y a plus de temps.". »

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