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Jules et Edouard de GONCOURT, Germinie Lacerteux.

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Jules et Edouard de GONCOURT, Germinie Lacerteux. La fosse commune, ce jour-là, c'était cela. Ce terrain, ces croix, ce prêtre disaient : - Ici dort la Mort du peuple et le Néant du pauvre. O Paris ! tu es le cœur du monde, tu es la grande ville humaine, la grande ville charitable et fraternelle ! Tu as des douceurs d'esprit, de vieilles miséricordes de mœurs, des spectacles qui font l'aumône ! Le pauvre est ton citoyen comme le riche. Tes églises parlent de Jésus-Christ ; tes lois parlent d'égalité ; tes journaux parlent de progrès ; tous tes gouvernements parlent de peuple ; et voilà où tu jettes ceux qui ont sué leur vie à travailler pour toi, à te donner ton bien-être, tes plaisirs, tes splendeurs, ceux qui ont fait ton animation, ton bruit, ceux qui ont mis la chaîne de leurs existences dans ta durée de capitale, ceux qui ont été la foule de tes rues et le peuple de ta grandeur ! Chacun de tes cimetières a un pareil coin honteux, caché entre un bout de mur, où tu te dépêches de les enfouir, et où tu leur jettes la terre à pelletées si avares que l'on voit passer les pieds de leurs bières ! On dirait que ta charité s'arrête à leur dernier soupir, que ton seul gratis est le lit où l'on souffre, et que, passé l'hôpital, toi si énorme et si superbe, tu n'as plus de place pour ces gens-là ! Tu les entasses, tu les presses, tu les mêles dans la mort, comme il y a cent ans, sous les draps de tes Hôtels-Dieu, tu les mêlais dans l'agonie ! Encore hier, n'avais-tu pas seulement ce prêtre en faction pour jeter un peu d'eau bénite banale à tout venant : pas la moindre prière ! Cette décence même manquait : Dieu ne se dérangeait pas ! Mais ce que ce prêtre bénit, c'est toujours la même chose : un trou où le sapin se cogne, où les morts ne sont pas chez eux ! Le corruption y est commune ; personne n'a la sienne, chacun a celle de tous : c'est la promiscuité du ver ! Dans le sol dévorant, un Montfaucon se hâte pour les Catacombes… Car les morts n'ont pas plus ici le temps que l'espace pour pourrir : on leur reprend la terre, avant que leurs os n'aient une couleur et comme une ancienneté de pierre, avant que les années n'aient effacé sur eux un reste d'humanité et la mémoire d'un corps ! Le déblai se fait, quand cette terre est encore eux, et qu'ils sont ce terreau humide où la bêche enfonce… La terre qu'on leur prête ? Mais elle n'enferme pas seulement l'odeur de la mort ! L'été, le vent qui passe sur cette voirie humaine à peine enterrée, en emporte, sur la ville des vivants, le miasme impie. Aux jours brûlants d'août, les gardiens empêchent d'aller jusque-là : il y a des mouches qui ont le poison des charniers, des mouches charbonneuses et qui tuent !

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