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John Millington Synge

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C’est à Lugné-Poe, directeur du Théâtre de l'Œuvre, que l'on doit la révélation en France de John Millington Synge. Après Pelléas et Mélisande de Maeterlinck ; La Lépreuse de Henry Bataille ; Ubu roi de Jarry, et avant Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck, Lugné-Poe monta en 1913 Le Baladin du monde occidental. Le "découvreur" de tant d'œuvres originales est bien oublié aujourd'hui, cela pourrait donner à réfléchir une fois de plus à la gloire éphémère des gens de théâtre. Au lendemain de la générale du Baladin, Guillaume Apollinaire écrivait dans Les Soirées de Paris : "Le Théâtre de l'Œuvre s'est honoré en donnant The Playboy of the Western World. A New York, cette pièce causait des émeutes parmi les Irlandais qui ne voulaient point reconnaître dans ces personnages si singulièrement lyriques des âmes irlandaises, et c'étaient les agents de police qui devaient intervenir pour faciliter la représentation d'une pièce qu'ils détestaient autant que le faisaient les autres spectateurs, leurs compatriotes. A Paris, ce fut l'indifférence, sauf de la part des poètes qui furent vivement frappés par ce rire nouveau et tragique ; c'est que les poètes ont toujours plus ou moins tué leur père, mais c'est une chose bien difficile, témoin le Playboy, et voyant la salle le jour de la générale, je me disais : Trop de pères, pas assez de fils." "Après que j'eus assassiné mon pauvre père et que je l'eus mangé", se serait écrié Baudelaire, en entrant dans un restaurant. Mais je doute fort que cette boutade ait pu inspirer Synge. Pas assez de fils, disait Guillaume Apollinaire. C'était en 1913, juste avant l'autre guerre. Un gamin de quinze ans vivait alors dans une arrière-boutique de banlieue, sur les hauteurs de Suresnes ; il ne rêvait que de théâtre et de poésie. C'est par un bien grand hasard qu'un numéro du journal Commedia lui tomba entre les mains, qu'il put lire Le Baladin dans l'adaptation de Maurice Bourgeois, et qu'il put découper et épingler les photos des acteurs de la création sur les murs de son arrière-boutique où il dormait dans un lit-cage à la lueur du gaz baissé tout bleu, baigné dans un clair-obscur peut-être semblable à celui dans lequel se passait l'action du Baladin.

« John Millington Synge C'est à Lugné-Poe, directeur du Théâtre de l'OEuvre, que l'on doit la révélation en France de John Millington Synge.

Après Pelléas et Mélisande de Maeterlinck ; La Lépreuse de Henry Bataille ; Ubu roi de Jarry, et avant Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck, Lugné-Poe monta en 1913 Le Baladin du monde occidental.

Le "découvreur" de tant d'oeuvres originales est bien oublié aujourd'hui, cela pourrait donner à réfléchir une fois de plus à la gloire éphémère des gens de théâtre. Au lendemain de la générale du Baladin, Guillaume Apollinaire écrivait dans Les Soirées de Paris : "Le Théâtre de l'OEuvre s'est honoré en donnant The Playboy of the Western World.

A New York, cette pièce causait des émeutes parmi les Irlandais qui ne voulaient point reconnaître dans ces personnages si singulièrement lyriques des âmes irlandaises, et c'étaient les agents de police qui devaient intervenir pour faciliter la représentation d'une pièce qu'ils détestaient autant que le faisaient les autres spectateurs, leurs compatriotes.

A Paris, ce fut l'indifférence, sauf de la part des poètes qui furent vivement frappés par ce rire nouveau et tragique ; c'est que les poètes ont toujours plus ou moins tué leur père, mais c'est une chose bien difficile, témoin le Playboy, et voyant la salle le jour de la générale, je me disais : Trop de pères, pas assez de fils." "Après que j'eus assassiné mon pauvre père et que je l'eus mangé", se serait écrié Baudelaire, en entrant dans un restaurant.

Mais je doute fort que cette boutade ait pu inspirer Synge. Pas assez de fils, disait Guillaume Apollinaire.

C'était en 1913, juste avant l'autre guerre.

Un gamin de quinze ans vivait alors dans une arrière-boutique de banlieue, sur les hauteurs de Suresnes ; il ne rêvait que de théâtre et de poésie.

C'est par un bien grand hasard qu'un numéro du journal Commedia lui tomba entre les mains, qu'il put lire Le Baladin dans l'adaptation de Maurice Bourgeois, et qu'il put découper et épingler les photos des acteurs de la création sur les murs de son arrière-boutique où il dormait dans un lit-cage à la lueur du gaz baissé tout bleu, baigné dans un clair-obscur peut-être semblable à celui dans lequel se passait l'action du Baladin. Et depuis, cela devint pour lui une manie, une hantise, une obsession : incarner Christy Mahon sur une scène.

Et cela ne put se réaliser qu'en 1941 sur le plateau du Théâtre des Mathurins, en pleine Occupation.

La pièce ne fut pas beaucoup mieux accueillie qu'en 1913. Même incompréhension de la critique : "une satire du snobisme". Le Baladin eut une importance énorme pour ma génération, celle d'hier et celle d'aujourd'hui.

Peut-être à l'égal (dans un autre domaine) de celle des Caves du Vatican de Gide.

Et n'est-ce pas à l'occasion du Baladin que fut prononcé pour la première fois le mot de surréalisme ? Le Baladin est au sommet de l'oeuvre du grand Irlandais.

OEuvre si difficile à acclimater chez nous, où le commun ne peut trouver que certains traits curieux ou bizarres.

Et cependant la grandeur de John Millington Synge est foncièrement originale, les mots sont somptueusement habillés comme pour un dimanche ; le dialogue va du réalisme le plus direct au lyrisme le plus puissant, du boniment populaire et trivial à l'émotion persuasive des plus grands jours. En 1942, nous montions et mettions en scène, au même Théâtre des Mathurins, Deirdre des Douleurs, dans la traduction de Marie Amouroux.

La pièce fut jouée durant toute une saison et toujours devant une assemblée nombreuse.

Peut-être grâce à la présence d'une jeune artiste exceptionnelle dont c'étaient les débuts : Maria Casarès.

Et longtemps, longtemps, j'entendrai sa plainte et son chant : "Forêt d'Alban, Forêt d'Alban..." La vieille légende gaélique, dernière oeuvre du poète, fut comparée par la critique à Tristan et Yseult, à Roméo et Juliette, et passa même pour avoir inspiré à Maeterlinck Pelléas et Mélisande.

Puisé dans le folklore irlandais, le thème de Deirdre joint au thème de la destinée, cher aux Grecs, celui de la fatalité inexorable de l'amour. Puis ce furent Les Noces du rétameur, en 1944.

Cette farce en deux tableaux, qui a choqué le public parisien, n'a paraît-il jamais été représentée dans la patrie de Synge, dont elle blesserait la profonde piété, bien qu'elle ne soit ni antireligieuse ni anticléricale.

Ces Noces glorifient en effet l'union libre ; et l'action se termine par une bagarre dans laquelle le prêtre est fourré dans un sac (comme le Géronte des Fourberies de Scapin) et ensuite rossé, fouetté, berné de la meilleure manière. La plupart des pièces de J.

M.

Synge furent accueillies au fameux Théâtre de l'Abbaye de Dublin, avec houle, sarcasmes et railleries. Qu'il s'agisse de L'Ombre de la ravine, de La Chevauchée vers la mer ou de La Fontaine aux saints. Heureusement Synge n'a pas eu que des détracteurs, et la pureté poétique de son oeuvre et la liberté de son esprit lui ont valu l'admiration passionnée, non seulement de certains esthètes, mais de toute une jeunesse ardente, celle d'hier, d'aujourd'hui et aussi, souhaitons-le, celle de demain. Fils d'un avocat, riche propriétaire de domaines dans les comtés de Wicklow et de Galway, John Millington Synge n'a été inspiré que par le peuple, et c'est en effet lui seul que nous voyons figurer dans son oeuvre. L'ennemi dangereux est toujours la justice ou bien le gouvernement et il n'en est jamais question que pour en parler avec frayeur. Cette oeuvre d'une richesse naturelle et d'une saveur extraordinaire demeure toujours et malgré tout dans les brumes et les verdures du pays qui l'a inspirée.

Merveilleusement colorée, foncièrement humaine, naturelle et humoristique, il est difficile de l'imaginer dans un autre décor que celui des Îles Aran.. »

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