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JEAN RACINE

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Le climat culturel chez Racine est plus asiatique qu'indo-européen ; là aussi le contraste avec Corneille s'impose. L'harmonie avec la forme aristotélicienne est parfaite : au monde cornélien en expansion, qui fait craquer les limites imposées, s'oppose le monde racinien, enserré par la volonté des dieux comme par l'étau de la forme, replié et recueilli dans son introversion et l'étroitesse de son vocabulaire. L'intrigue est réduite aux données d'une crise psychologique, sans inutiles complications parentales ou politiques. Le comble de la complexité est atteint dans Bajazet avec les menées parallèles du vizir et de la sultane contre un sultan qui les étouffe de l'extérieur. C'est chez Racine que les confidents deviennent importants. Ils sont l'écoute indispensable des interminables analyses de l'introspection. Réduits parfois au rôle de simple miroir, ils offrent souvent de très beaux caractères dans leur fonction de doubles. Pylade ou l'amitié légendaire, Oenone ou la nourrice esclave, Théramène ou le paternel protecteur, Narcisse ou l'âme damnée. Cependant si Corneille et Racine montent différemment leur mécanisme, tous deux montrent la parfaite logique du piège tragique, logique cartésienne ouverte de l'enchaînement par maillons chez l'un, logique aristotélicienne du syllogisme fermé sur ses données chez l'autre.

« JEAN RACINE Corneille et Racine sont indéniablement les auteurs du siècle, dans le genre du siècle, et on voit mal pourquoi on cesserait d'exploiter un parallèle aux ressources inépuisablement éloquentes.

Corneille est l'action tragique ; il fait éclater au théâtre l'affrontement des forces qui font l'histoire.

Racine est l'essence tragique ; il fait chanter sur le théâtre la souffrance de l'individu broyé par le destin.

Tout aussi sanglant que celui de Racine, le théâtre de Corneille, du fait qu'on s'y tue hardiment et sans remords, ne dégage cependant pas la même poésie tragique, qui est celle du désespoir.

Une remarque d'Hannah Arendt (dans l'Impérialisme) éclaire bien cette opposition, de même que la fameuse invraisemblance, tant reprochée à Corneille : L'interprétation de la souffrance jouit d'un champ bien plus vaste que celle de l'action car la première va au plus profond de l'âme et donne libre cours à toutes les virtualités de l'imagination humaine, tandis que la seconde est sans cesse contrôlée et parfois conduite à l'absurdité par les conséquences extérieures et l'expérience vérifiable. L'opposition de ces deux univers est fondamentale.

Elle correspond exactement à l'opposition idéologique du siècle entre l'éthique moliniste et l'éthique janséniste.

Racine porte la marque indélébile de Port-Royal.

La violente polémique, qui l'opposa en 1666 à ses maîtres, repose sur un malentendu.

Le Traité sur la comédie, que Nicole croit faire contre le théâtre, est en réalité entièrement écrit, vers 1659, contre Corneille.

Nicole condamne en Corneille l'apologie de la violence.

Il frémit d'entendre les « paroles barbares » de Don Diègue : « Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage.

Meurs ou tue ! » (le Cid, I, 5) comme d'entendre Rodrigue déclarer que le meurtre du comte est une « bonne action », sans l'ombre d'un remords : « Je le ferais encore si j'avais à le faire » (le Cid, Ill, 4).

Nicole dénonce le thème essentiel cornélien « cette vertu romaine qui n'est autre chose qu'un furieux amour de soi-même ».

C'est bien vainement que Nicole veut, au XVIIe siècle, arracher le public au théâtre.

Racine fait beaucoup mieux : il arrache le public à Corneille. Après dix années de triomphe au théâtre, il revient, repentant et satisfait, à Port-Royal. Il a accompli, en effet, une oeuvre édifiante.

Et cela dès Andromaque, en 1667.

La guerre n'y est pas vue à travers l'ivresse du chef, mais à travers le cauchemar des vaincus.

La vengeance assumée par Oreste le rend fou.

Le pouvoir rend Pyrrhus dangereux pour les autres, sans profit pour lui-même.

L'amour, enfin, a bien fini d'être ce « je ne sais quel charme », qui donne envie d'éprouver la même chose, pour offrir le tableau même de l'enfer.

Seule Andromaque, entièrement vouée au culte du paradis perdu, échappe à la damnation.

L'oeuvre est une illustration de tous les postulats augustiniens. Racine, dans la première Lettre à Nicole (1666), n'écrit-il pas que : « Saint Grégoire de Nazianze n'a pas fait de difficulté de mettre la passion de Notre-Seigneur en tragédie » ? Dans la seconde Lettre il cite le persiflage qu'il s'est attiré de la part d'un janséniste : « Il me dit assez galamment que, si je veux me servir de l'autorité de saint Grégoire, il faut me résoudre à être toute ma vie le poète de la Passion.

» Certes il ajoute : « Il n'a pu rire sans abuser du plus saint de nos mystères ; et la seule plaisanterie qu'il fait est une impiété.

» Mais le jeu de mots vaut d'être repris, parce que cette phrase, écrite un an avant Andromaque (1667), définit en effet l'oeuvre de Racine, et que l'ambiguïté du sens est particulièrement féconde.

La référence au divin, à l'immolation sacrificielle prend avec les textes de Racine un relief extraordinaire.

De Pyrrhus à Athalie en passant par Iphigénie et Hippolyte, on ne voit que victimes frappées dans les temples, près des autels, vouées aux dieux à titre expiatoire ou propitiatoire.

Il n'est jusqu'à l'assassinat de Britannicus qui ne soit préparé par une sorcellerie macabre.

Racine renoue avec ce qu'a de plus archaïque la représentation théâtrale, qui est l'accomplissement d'un rite religieux. La forme tragique, que prennent le rite et le mythe, est grecque.

L'hellénisme baigne l'oeuvre de Racine.

Il inspire directement cinq de ses onze tragédies, dont quatre à partir des mythes et une de l'histoire : la Thébaïde (1664), Alexandre (1665), Andromaque (1667), Iphigénie (1674) et Phèdre (1677).

La romanité, corrompue ou orientalisée, fournit Britannicus (1669) et Bérénice (1670).

L'Orient antique ou moderne : Bajazet (1672) et Mithridate (1673) ; la Bible : Esther (1689) et Athalie (1691). Le climat culturel chez Racine est plus asiatique qu'indo-européen ; là aussi le contraste avec Corneille s'impose. L'harmonie avec la forme aristotélicienne est parfaite : au monde cornélien en expansion, qui fait craquer les limites imposées, s'oppose le monde racinien, enserré par la volonté des dieux comme par l'étau de la forme, replié et recueilli dans son introversion et l'étroitesse de son vocabulaire.

L'intrigue est réduite aux données d'une crise psychologique, sans inutiles complications parentales ou politiques.

Le comble de la complexité est atteint dans Bajazet avec les menées parallèles du vizir et de la sultane contre un sultan qui les étouffe de l'extérieur.

C'est chez Racine que les confidents deviennent importants.

Ils sont l'écoute indispensable des interminables analyses de l'introspection.

Réduits parfois au rôle de simple miroir, ils offrent souvent de très beaux caractères dans leur fonction de doubles.

Pylade ou l'amitié légendaire, Oenone ou la nourrice esclave, Théramène ou le paternel protecteur, Narcisse ou l'âme damnée.

Cependant si Corneille et Racine montent différemment leur mécanisme, tous deux montrent la parfaite logique du piège tragique, logique cartésienne ouverte de l'enchaînement par maillons chez l'un, logique aristotélicienne du syllogisme fermé sur ses données chez l'autre. La psychanalyse freudienne s'est jetée avec une avidité justifiée sur le monde racinien.

Il semble fait sur mesure pour elle, avec une extraordinaire prescience signifiante dans l'expression de la poésie des profondeurs du psychisme.

Freud ignore les nécessités de l'alliance, de la patrie et de la fratrie, fondées sur les rivalités collatérales, il ne s'intéresse qu'à la filiation et à la généalogie.

En ce sens Corneille est tribal et Racine est familial.

Le poids de l'hérédité pèse sur le monde racinien : l'instinct fondamental y est celui de la possession, alors qu'il est chez Corneille celui de la domination.

Il s'agit pour Racine moins d'assujettir l'autre que de l'absorber.

On n'est pas plus ou moins, on est tout ou rien.

Cet instinct est celui de l'amour qui, dans l'économie janséniste, est dévié de son but idéal sur un objet dont la possession est impossible.

Il s'ensuit donc une inévitable chute dans l'enfer de la jalousie, dont Racine fait les plus terribles descriptions chez Hermione et chez Phèdre, mais qui, sous la forme commune de la frustration inhérente à toute passion, habite tous ses personnages sans exception.. »

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