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Jean-Marie G. Le Clézio : « Elles sont belles, les fumées... »

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Jean-Marie G. Le Clézio : « Elles sont belles, les fumées... » Elles sont belles, les fumées. Du haut d'une montagne, je vois les fumées qui s'élèvent au-dessus des plaines et des vallées. Elles montent dans l'air calme, pendant des heures, s'étalent, puis disparaissent à une certaine hauteur, sans qu'on puisse voir comment. Elles forment des colonnes bien droites qui montent au-dessus des toits des maisons. Grises, légères, les fumées qui savent parler de choses douces et tranquilles, d'âtre, de repas en train de cuire, de sarments, de branches sèches qui crépitent, les fumées de la paix. Elles disent des choses émouvantes, des choses humaines. Les montagnes sont dures et magnifiques, la mer est vaste, les fleuves sont pleins de puissance. Mais les petites fumées pâles témoignent simplement que ces lieux sont habités, qu'il y a ici des familles, des enfants, de la douceur. En elles je vois apparaître d'étranges fantômes, des génies familiers, qui sont légers et vivants comme des cheveux, qui sont apaisants comme la cendre. Sans cesse les fumées s'évaporent vers le haut du ciel, comme si les dieux les respiraient. Quelle est cette terre? Qui sont les hommes qui habitent ces lieux? Ils ne cherchent pas à vaincre l'espace, ils ne cherchent pas à découvrir de nouveaux horizons. Attachées aux champs de vigne, aux champs de blettes et de pommes de terre, les maisons fument. Quelque chose de l'âme de l'homme s'échappe par les cheminées, avance verticalement vers la voûte du ciel, rejoint les nuages. Quelque chose est inachevé dans le paysage des hommes, qui s'échappe, qui fuit, qui distille son parfum de cuisine et de braises.

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