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Jean Giono, Regain.

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Jean Giono, Regain. L'hiver est dur, cette année, et jamais on n'a vu cette épaisseur de glace au ruisseau ; et jamais on n'a senti ce froid, si fort, qu'il est allé geler le vent au fond du ciel. Le pays grelotte dans le silence. La lande qui s'en va par le dessus du village est tout étamée de gel. Il n'y a pas un nuage au ciel. Chaque matin, un soleil roux monte en silence ; en trois pas indifférents, il traverse la largeur du ciel et c'est fini. La nuit entasse ses étoiles comme du grain. Panturle a pris sa vraie figure d'hiver. Le poil de ses joues s'est allongé, s'est emmêlé comme l'habit des moutons. C'est un buisson. Avant de commencer à manger, il écarte les poils autour de sa bouche. Il est devenu plus méchant aussi. Il ne parle plus à ses ustensiles. Il a entouré ses pieds et ses jambes avec des étoffes attachées avec des ficelles. Avec ça, il a chaud, il ne glisse pas, il ne fait pas de bruit. Il est toujours avec son couteau et ses fils de fer sournois. Il chasse. Il a besoin de viandes. La Mamèche aussi fait sa chasse, pour elle, à sa façon. Elle s'attaque au petit gibier : aux moineaux que le froid rend familiers et qui sont tout ébouriffés comme des pelotes de laine. Elle fait ce qu'on appelle ici : embaumer du grain. Elle a de vieux grains d'avoine et les fait bouillir avec de la rue et des capsules de datura, puis elle épand son grain devant la porte. Les moineaux mangent et ils meurent. Sur place. Avant de les faire cuire, elle leur ôte le gésier, elle ouvre le gésier avec de vieux ciseaux et elle fait tomber les grains dans du papier. Ça sert pour une autre fois. Bien entendu, Panturle ne l'oublie pas. Il lui monte de gros morceaux de lièvre ou bien il lui donne des grives ; d'autres fois des petits lapins entiers. Parce que, lui, il en a à sa suffisance ; il en mange tant qu'il veut et il en met de côté, à sa cave, pour les changer, après, contre des pommes de terre, avec ce vieux fou des Bourettes.

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