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Jean de SPONDE (1557-1595) - Vous languissez, mes vers...

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Jean de SPONDE (1557-1595) - Vous languissez, mes vers... Vous languissez, mes vers ; les glaçons de l'absence Éteignant vos fureurs au point de leur naissance, Vous n'entrebattez plus de soupirs votre flanc, Vos artères d'esprits, ni vos veines de sang. En quoi ! la mort vous tient ? et ce front teint en cendre Vous marque les tombeaux où vous allez descendre ? Si vous pouviez encor revoir dedans les cieux Ce feu qui s'est caché des pointes de vos yeux, Vous vivriez, dites-vous, mais la clarté ravie Ravit en même temps l'éclair de votre vie. Vous ne sauriez passer vos jours parmi les nuits, Ni faire beau visage en ces affreux ennuis. Ce contraire est trop grand : vivre auprès de ma belle, Et n'approcher la mort quand on s'éloigne d'elle. Il faut donques mourir et par nécessité. Qu'à la fin votre hiver succède à votre été. Papillons bien-aimés, nourrissons de mon âme, Puisque votre origine est prise de ma flamme, Et que ma flamme garde encore son ardeur, D'où vous vient, d'où vous vient cette prompte froideur ? Ce beau feu dont j'avais votre vie allumée, Me l'avez-vous changé si soudain en fumée ? Vous me laissez, ingrats, et la déloyauté Récompense l'amour que je vous ai porté. Est-ce que vous craignez que votre tendre vue Se rebouche si bien contre la pointe aiguë Des rayons du Soleil qu'à l'épreuve du jour, On ne vous juge point de vrais enfants d'Amour ? Et que ces beaux esprits dont on fait tant de compte, S'ils vous ont découverts, ne vous couvrent de honte ? Craindriez-vous point qu'encor votre déformité Ne déplût d'aventure aux yeux de la beauté Pour qui vous travaillez, et par trop de coutume, Qu'on sente vos douceurs changer en amertume ? Hélas ! ne mourez point ; et servez pour le moins A ma fidélité de fidèles témoins. Que si des Basilics l'oeil malin vous offense Marchant parmi ces fleurs, j'en prendrai la défense, Et du miroir luisant de mon autorité J'éteindrai tout soudain cette malignité. Lorsqu'on vous poursuivra je serai votre asile, Et quand les vents battraient votre nef si fragile, Vous ne sauriez vous perdre au phare de mon feu. Quant à ces yeux à qui vous avez déjà plu Ils vous donneront toujours leur vue toute entière, Si ce n'est pour la forme, au moins pour la matière. Que si votre langueur ne se peut secourir, Si vous avez du tout résolu de mourir, Mourez, mourez au moins d'une mort qui soit digne De votre belle vie, et faites que le cygne Qui charme de ses chants les bords méandriens Sur le bord de sa mort, se charme par les miens. Ce dernier feu, laissant votre mourante bouche, Soit semblable au soleil qui luit quand il se couche Beaucoup plus doucement que quand au fort du jour Les brandons qu'il vomit grillent notre séjour. Mourez, mes vers, mourez, puisque c'est votre envie, Ce qui vous sert de mort me servira de vie.

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