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JEAN DE LA FONTAINE

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Ce que ce « papillon du Parnasse » dissimule derrière un tel aveu, c'est la grande unité d'inspiration qui anime son oeuvre derrière son apparente diversité. Dire que le thème unique en est celui de la nature peut paraître facile, dans la mesure où un tel thème recèle tous les autres. Mais le chemin tracé par La Fontaine dans ce thème est d'une grande netteté. Il porte à sa perfection d'abord le thème de la nature pastorale. Les seules immortelles idylles de la littérature française sont Adonis et Saint Mak, par la pureté des motifs et des vers. En elles s'achève et s'explique l'inspiration de l'Astrée, d'Honoré d'Urfé, de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau et du Moïse sauvé, de Saint-Amant. Théophile et La Fontaine dépassent le cadre de la nature idyllique, qui s'enlise dans la mièvrerie, en discernant la cruauté de la nature carnivore. Mais ni la tragédie, ni l'élégie, trop enfermées dans l'expression de leurs thèmes propres, ne permettaient d'approfondir ce problème.

« JEAN DE LA FONTAINE La célèbre insouciante légèreté de La Fontaine, la métaphore de son nom, au « charme emprunté des eaux », selon V aléry, imposent au plus pur poète du siècle la marque de la fuite et de la fluidité.

Il eut en effet une façon d'échapper à tout : mariage, société, religion, et pourtant de retenir l'essence de tout : amour, amitié, spiritualité, qui tient au radical détachement qu'il eut de tout c e qui n'était pas poésie.

Sa poésie elle-même trouve son unité de thème et de ton dans la légèreté.

Elle exc lut délibérément la gravité et la passion pour cultiver exc lusivement « le galant et la plaisanterie », qui est, pour La Fontaine à la fois « le goût du siècle » et celui auquel son « inclination » le porte.

Le « galant » désigne le fin et le spirituel, la « plaisanterie » peut être grosse, elle n'est pas pour autant lourde.

Le domaine de La Fontaine va, sans qu'il y ait aucune contradiction dans son inspiration, de la s ainte idylle qu'est le Poème s ur la captivité de saint Malc (1673) à l'obscénité anticléricale des plus lestes de ses Nouveaux C ontes (1675).

La vérité est que la sainteté et la débauche ont en commun de lancer le même défi au bon sens et au s érieux, l'une dans la rareté, l'autre dans le tout venant.

La façon dont La Fontaine décrit comment le merveilleux ermite fou qu'est saint Male bris e toutes les chaînes, échappe à tous les pièges, de l'argent, du sexe, de la domination, sans déployer le moindre héroïsme mais par la plus naïve et la plus obstinée des fuites, est un pur miracle poétique.

En fait de merveilleux c hrétien, La Fontaine balaye en trois vers la problématique de Polyeucte, agressant les idoles.

Lorsqu'il montre M alc contraint à l'idolâtrie, il glisse pudiquement sur son humble fuite devant le martyre : Si Malc s'en défendit, s'il l'os a, s'il le put, S'il en subit la loi sans peine et sans scrupule, C 'est c e qu'en ce récit l'histoire dissimule. La « divine loi », celle qu'il ne transgresse jamais, est celle de la douceur.

« Q ue vous êtes heureux, peuple doux ! » De 1658 à 1661, La Fontaine consent à servir, contre sa subsistance, une « pension poétique » à Fouquet, qu'il s'est attaché en lui offrant A donis (qu'il ne publie qu'en 1669).

Il entreprend alors le Songe de V aux, qui ne sera jamais terminé (publication fragmentaire en 1671).

Lorsque Fouquet est arrêté, il publie anonymement l'Élégie aux nymphes de V aux (1662) et dédie au roi une Ode, dont Fouquet, dans sa prison, désapprouva l'humilité et que La Fontaine déclara prendre entièrement sur lui. A ccorde-nous les faibles res tes De ses jours tristes et funestes [...] L ' A mour est fils de la clémence, La clémence est fille des dieux. Sans elle toute leur puissance Ne serait qu'un titre odieux. Louis XIV , semble-t-il, n'oubliera jamais cette prière, dont ose l'importuner ce qui n'est pour lui que le plus insignifiant des insectes humains, à un moment où la majeure partie de l'entourage de Fouquet rallie bruyamment le roi, tandis que quelques fidèles se terrent pour se faire oublier.

La sourde hostilité du monarque fut définitivement acquise à cet homme de lettres, qui ne lui offrira jamais que des O des pour la paix (1659-1678), au lieu de célébrer, comme tout le monde, les « Passage du Rhin » et autres « prise de Namur » ou de « M ons ». Le noir démon des combats V a quitter cette contrée. Nous reverrons ici-bas Régner la déesse A strée. C hasse des soldats gloutons La troupe fière et hagarde, Q ui mange tous mes moutons Et bat celui qui les garde O paix ! s ource de tout bien, V iens enrichir cette terre Et fais qu'il n'y reste rien Des images de la guerre. Délivre ce beau séjour De leur brutale furie Et ne permets qu'à l'A mour D'entrer dans la bergerie. O de pour la paix des P yrénées (1659). O ffrir cela à Louis X I V , qui commence son ascension, c 'est faire preuve de la plus impardonnable légèreté.

La Fontaine, qui se flatte d'avoir l'esprit du siècle, n'a pas celui d'à-propos. « Le peu de soin qu'il eut de ses affaires domestiques, dit P errault, l'ayant mis en état d'avoir besoin du secours de ses amis, Mme de la Sablière, dame d'un mérite singulier et de beaucoup d'esprit, le reçut chez elle, où il a demeuré près de vingt ans » (1673-1693).

Dans les deux Discours, qu'il dédie à Mme de la Sablière, La Fontaine livre le secret de ce qu'il pense et de ce qu'il est.

C elui de 1679 sert de conclusion au troisième livre des Fables : il y prend, contre la « nouvelle philos ophie » du cartésianisme, le parti de l'âme des bêtes, d'un naturalisme épicurien, et y affirme l'unité du monde, la souveraineté de la perception et du s entiment dans la connaissance contre l a c o n c eption d'un univers-machine gouverné par un intellect abstrait.

C elui de 1 6 8 4 , qu'il compose pour son entrée à l'A cadémie, est une confession-portrait : Je suis chose légère, et vole à tout sujet ; Je vais de fleur en fleur, et d'objet en objet ; À beaucoup de plais irs je mêle un peu de gloire. J'irais plus haut peut-être au temple de Mémoire Si dans un genre seul j'avais usé mes jours ; M ais quoi ! je suis volage en vers comme en amours. C e que ce « papillon du Parnasse » dissimule derrière un tel aveu, c'est la grande unité d'inspiration qui anime son oeuvre derrière son apparente diversité. Dire que le thème unique en est celui de la nature peut paraître fac ile, dans la mesure où un tel thème recèle tous les autres.

Mais le chemin tracé par La Fontaine dans ce thème est d'une grande netteté.

Il porte à sa perfection d'abord le thème de la nature pastorale.

Les s eules immortelles idylles de la littérature française sont A donis et Saint Mak, par la pureté des motifs et des vers.

En elles s'achève et s 'explique l'inspiration de l'A s trée, d'Honoré d'Urfé, de P yrame et T hisbé, de Théophile de V iau et du Moïse sauvé, de Saint-A mant.

Théophile et La Fontaine dépas sent le c adre de la nature idyllique, qui s'enlise dans la mièvrerie, en discernant la cruauté de la nature carnivore.

M ais ni la tragédie, ni l'élégie, trop enfermées dans l'expres sion de leurs thèmes propres, ne permettaient d'approfondir ce problème. C 'est alors que La Fontaine investit le genre flottant et inoccupé de la Fable et se l'approprie totalement.

Pressentant le devenir-homme de l'animal, que la science s 'apprête à explorer, de Diderot à Darwin, il le mime de façon régressive et poétique dans le devenir-animal de l'homme, qui hante tous les contes et toutes les magies.

La métaphore animale du totem est la plus archaïque de toutes les démarches de l'imaginaire, et la plus poétique.

Le s ecret de La Fontaine est peut-être d'avoir su renouer avec le langage élémentaire du bestiaire et du blason dont l'ultime trace subsistait dans la pastorale.

Il recueille dans la littérature et le folklore tous les éléments d'un jeu codé dont la puérilité apparente constitue un masque ass ez opaque pour berner les éducateurs.

La nature paradisiaque de l'idylle s'est métamorphosée en effet en une nature universellement prédatrice, dont la malédiction initiale engendre la destruction en chaîne.

La fable Rien de trop (XI, 3) est une parabole de la faute originelle du « trop ».

De ce point de rupture de l'harmonie, la poésie de La Fontaine n'est qu'une incessante prise de conscience.. »

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