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IL FAUT TENTER DE VIVRE! - PAUL VALÉRY, Le Cimetière marin.

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IL FAUT TENTER DE VIVRE! - PAUL VALÉRY, Le Cimetière marin. Non, non!... Debout! Dans l'ère successive! Brisez, mon corps, cette forme pensive! Buvez, mon sein, la naissance du vent! Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme... O puissance salée! Courons à l'onde en rejaillir vivant! Oui! Grande mer de délires douée, Peau de Panthère et chlamyde trouée De mille et mille idoles du soleil, Hydre absolue, ivre de ta chair bleue, Qui te remords l'étincelante queue Dans un tumulte au silence pareil, Le vent se lève!... Il faut tenter de vivre! L'air immense ouvre et referme mon livre, La vague en poudre ose jaillir des rocs! Envolez-vous, pages tout éblouies! Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies Ce toit tranquille où picoraient des focs!

« IL FAUT TENTER DE VIVRE! - PAUL V ALÉRY, Le Cimetière marin. Non, non!...

Debout! Dans l'ère successive! Brisez, mon corps, cette forme pensive! Buvez, mon sein, la naissance du vent! Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme...

O puissance salée! Courons à l'onde en rejaillir vivant! Oui! Grande mer de délires douée, Peau de Panthère et chlamyde trouée De mille et mille idoles du soleil, Hydre absolue, ivre de ta chair bleue, Qui te remords l'étincelante queue Dans un tumulte au silence pareil, Le vent se lève! ...

Il faut tenter de vivre! L'air immense ouvre et referme mon livre, La vague en poudre ose jaillir des rocs! Envolez-vous, pages tout éblouies! Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies Ce toit tranquille où picoraient des focs! Introduction. Ces trois strophes constituent la conclusion, ou plutôt la péripétie finale, d'une longue méditation philosophique et lyrique inspirée au poète par le souvenir du cimetière de Sète, situé sur une colline d'où l'on domine la mer, et au pied de laquelle s'élevait sa maison natale.

Nous sommes à midi, vers la mi-juin.

L'ardent soleil méditerranéen semble régner seul sur les flots, sur la terre, sur le monde accablé, et devient aux yeux du poète le symbole de l'Être immuable et parfait; à l'immobilité de tout ce qui l'entoure, les choses et les morts, il sent qu'il est seul à s'opposer, parce que seul il est changement.

Un vertige le saisit, en face de cette lumière inaltérable et de ces morts qui eux aussi se sont rangés du côté de l'immuable, et il a l'impression qu'il est sur le point de consentir à la stagnation de l'éternité.

A cette espèce de démission, un brusque sursaut de ses forces vivantes va lui permettre d'échapper, en le rejetant, hors de la contemplation pure, vers l'action libératrice. Le texte. La soudaineté de ce mouvement s'exprime d'emblée par la structure même de la phrase, les répétitions et les coupes heurtées : Non! non! Debout! ...

Brisez I, mon corps...

Buvez !, mon sein...

La suppression de tout sujet et de tout verbe au premier vers rend la violence du geste par lequel le poète se replonge, en s'arrachant à l'immuable, dans Père successive, c'est-à-dire dans le temps, formé d'une succession d'instants passagers, qui est la trame de l'existence humaine.

Il ordonne à son corps de briser sa forme pensive, c'est-à-dire cette attitude de penseur qui était par elle-même une sorte d'adhésion à l'immobilité. Sorti d'un seul coup de sa méditation, il se retrouve parmi les réalités sensibles de l'univers créé, et la bouffée de vent qui l'enveloppe lui semble avoir la fraîcheur d'une naissance, comme s'il la recueillait à sa source.

L'expression traduit en même temps le retour de la vie dans le paysage comme en son être, car les choses, d'un mouvement parallèle à celui du poète, s'animent et vont l'aider à secouer l'enchantement mortel; Une fraîcheur me rend mon âme : le poète se retrouve pleinement lui-même dans la conscience de cette vie individuelle et distincte par laquelle il s'oppose à l'Être immuable.

Alors, il sent le besoin d'affirmer cette vie par un acte et de se purifier de toute contagion de l'immobilité.

A ussi adresse-t-il à la mer les mots de puissance salée, parce qu'elle seule va pouvoir opérer cette sorte de résurrection ou de nouvelle naissance : C ourons à l'onde en rejaillir vivant, dans l'acceptation totale de la condition d'homme, c'est-à-dire d'être changeant. Cette conversion décisive et sans retour est soulignée par le Oui! initial de la deuxième strophe, qui non seulement s'oppose au double Non! initial de la strophe précédente, mais donne l'élan à une large période qui va comprendre toute la deuxième strophe et culminer avec le premier vers de la troisième.

La mer s'anime de plus en plus, et va apparaître aux yeux du poète sous un aspect éperdument mobile, qui sera pour lui une invitation et un exemple : elle est dite douée de délires (par allusion aux convulsions des flots en démence), mobile comme les moires d'une peau de bête fauve ou les plis d'un vêtement (la chlamyde est le manteau des Grecs anciens); elle est aussi appelée hydre absolue (au sens latin, déchaînée), ivre de sa chair bleue, c'est-à-dire du mouvement perpétuellement recommencé de ses propres ondes; tel est le sens du symbole du serpent (hydre, au sens grec) qui se mord la queue et forme ainsi un cercle, image à la fois du fini et du recommencement perpétuel.

En même temps, le vocabulaire, plus concret, plus coloré (peau de panthère; chlamyde trouée de mille idoles du soleil, c'est-à-dire, au sens grec du mot idole, des millions d'images du soleil en miniature que reflètent les flots; chair bleue; étincelante queue), la multiplicité des assonances et des allitérations (grande mer de délires douée; peau de panthère trouée; mille et mille idoles du soleil; hydre ivre; te remords l'étincelante queue...

tumulte...), traduisent fortement la présence du monde sensible, le retour aux impressions extérieures qui ont soustrait le poète à son vertige d'abandon à l'immuable.

On admirera en particulier le dernier vers, Dans un tumulte au silence pareil, qui exprime avec une rare concision l'émousse-ment de l'attention produit à la longue par un bruit monotone et continu. L'élan de cette strophe palpitante donne au premier vers de la dernière strophe une force accrue, qu'augmentent encore les allitérations : le vent se lève... vivre.

La correspondance signalée plus haut entre la vie des éléments et celle du poète se retrouve ici : la simple fraîcheur exhalée est devenue le lever du vent; tout s'anime à son contact, et le poète lui-même va participer à cette mobilité universelle : il faut tenter de vivre, c'est-à-dire s'arracher à la contemplation paralysante, accepter ce frémisseinent tout physique qui est le propre de la créature soumise au changement.

C 'est ce qu'exprime également le second vers, qui évoque l' air, c'est-à-diré la force de vie, rudoyant en quelque sorte le livre, qui est l'album où le poète vient d'écrire ces strophes, mais aussi le symbole de cette chose écrite où se complaît et se fige la pensée abstraite.

Le verbe oser du troisième vers est, lui aussi, significatif : la vague ne se soumet plus à Midi l'immuable, elle s'abandonne à la vie.

La coupe irrégulière du second vers, en détachant les mots l'air immense, traduit le caractère capricieux et fébrile du mouvement que le vent imprime aux pages.

Le troisième vers, qui nous montre les crêtes écumeuses (en poudre) fusant au-dessus des rochers et semblant naître de leur masse même, exprime avec concision l'élan qui anime la mer.

Puis se succèdent des impératifs : le poète encourage de la voix et du geste ce mouvement universel pour lequel il a pris parti et auquel il se mêle.

Que les pages aussi participent à cette mobilité et s'en aillent dans le soleil (éblouies, mais autant par la vie que par la lumière; et l'allitération d'envolez-vous souligne le caractère impérieux de l'invite); que les vagues brisent l'immobilité où tout à l'heure la mer était prise! Le dernier vers est un rappel presque littéral du vers initial du poème (« Ce toit tranquille où marchent des colombes I Entre les pins palpite...

») : le spectacle de la mer qui semble se relever vers l'horizon suggérait la pente d'un toit, sur lequel se déplaçaient comme des oiseaux les bateaux aux voiles blanches (le foc est la voile triangulaire tendue du mât de misaine à la pointe du beaupré); mais il suffit de substituer l'imparfait picoraient au présent marchent pour rejeter dans un passé irrévocable la paix un peu morne du début du poème : morne, car vivre est une joie (réjouies).

A insi s'achève, hors du poète comme en lui, la victoire du concret et du mouvant, revanche sur cette immobilité qui a failli tout engloutir.. »

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