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HUGO - Les Châtiments

Extrait du document

Ô sauveur, ô héros, vainqueur de crépuscule, César ! Dieu fait sortir de terre les moissons, La vigne, l'eau courante abreuvant les buissons, Les fruits vermeils, la rose où l'abeille butine, Les chênes, les lauriers, et toi, la guillotine. Prince qu'aucun de ceux qui lui donnent leurs voix Ne voudrait rencontrer le soir au coin d'un bois ! J'avais le front brûlant : je sortis par la ville. Tout m'y parut plein d'ombre et de guerre civile, Les passants me semblaient des spectres effarés ; Je m'enfuis dans les champs paisibles et dorés ; Ô contre-coups du crime au fond de l'âme humaine ! La nature ne put me calmer. L'air, la plaine, Les fleurs, tout m'irritait ; je frémissais devant Ce monde où je sentais ce scélérat vivant. Sans pouvoir m'apaiser, je fis plus d'une lieue. Le soir triste monta sous la coupole bleue ; Linceul frissonnant, l'ombre autour de moi s'accrut ; Tout à coup la nuit vint, et la lune apparut Sanglante, et dans les cieux, de deuil enveloppée, Je regardai rouler cette tête coupée. HUGO - Les Châtiments

« Les Châtiments naissent chez Victor Hugo du coup d'État du 2 décembre, par lequel le prince Louis Napoléon Bonaparte élu président de la seconde République (née de la Révolution de 1848) devient empereur sous le nom de Napoléon III. C'est une satire, un ouvrage engage et militant qui emploie tour à tour l'indignation et l'ordre pour flétrir celui que Victor Hugo appelle « Napoléon le Petit ». Ce poème fut composé à Jersey mais l'inspiration en vint à Bruxelles au poète réfugié, lors de meurtres politiques : Né de circonstances précises, le texte atteint une puissance visionnaire dans les accusations lancées contre l'Empereur, la transformation du paysage et les sentiments du poète-témoin. Napoléon III fournit une cible constante à Victor Hugo.

Tantôt bandit monstrueux dont le poète flétrit avec indignation les crimes, tantôt main ridicule qu'il oppose à son oncle, l'empereur est bafoué.

Quelques appellations péjoratives ainsi que le rappel des forfaits composent ici un portrait vengeur. Victor Hugo recourt à des termes explicites.

Ainsi le terme « bandits » (qui apparaît au vers 2 du poème cité dans son intégralité) est développé par un distique (deux vers unis par des rimes plates et constituant une unité de sens) : « Prince qu'aucun de ceux qui lui donnent leurs voix Ne voudrait rencontrer le soir au coin d'un bois.

» On remarquera le contraste entre des termes évoquant la puissance (« Prince »), la légitimité (« donner ses voix ») et la vile forfaiture (« rencontrer le soir au coin d'un bois »).

Enfin, l'injure culmine avec le mot « scélérat », véritable souillure du monde : « [...] je frémissais devant Ce monde où je sentais ce scélérat vivant.

» L'expression est encore accentuée par le rejet (« devant ») et sa place (elle occupe le second hémistiche de l'alexandrin). Le rappel des actions de l'empereur, se fait par une autre arme, plus indirecte mais également efficace : l'ironie. « O sauveur, ô héros [...] » Ce premier hémistiche pompeux par la répétition de termes élogieux placés en apostrophe bascule avec le second hémistiche : « vainqueur de crépuscule ».

Napoléon III est un être de l'obscurité, de la mort et du deuil comme le développe la suite du poème avec ce crépuscule fantastique digne d'un tableau visionnaire de Goya.

La référence à « César » est évidemment ironique, et, placée en tête de l'alexandrin, retentit comme une menace.

De même qu'il s'oppose à ces sauveurs, ces héros, à César, Napoléon III exerce une action contraire à celle de Dieu comme le montre la fin de la première strophe.

Victor Hugo évoque dans un large mouvement l'action bienfaisante du Créateur : « [...] Dieu fait sortir de terre les moissons, » L'énumération insiste sur la fécondité (« les moissons, la vigne, l'eau courante »), l'abondance (« abreuvant »), la plénitude (« les fruits vermeils »), la beauté liée à la vie (« la rose où l'abeille butine »).

Le poète évoque les éléments symboliques de la nature : la force avec le chêne, la gloire avec le laurier.

L'Empereur, au terme de cette énumération, apparaît comme un monstre contre nature dans un hémistiche vengeur, « et toi la guillotine », souligné par l'interpellation directe du tutoiement. Napoléon III, par la terreur politique qu'il fait régner au début de son règne, est assimilé à un bandit, à un être porteur de mort, ce qui explique la transformation fantastique que subit le paysage pour le poète visionnaire. A la ville, lieu d'exil où lui parviennent les nouvelles alarmantes de France (« c'était en juin, j'étais à Bruxelles ; on me dit »), le poète oppose la campagne.

Ce lieu devrait le calmer, il est objectivement apaisant.

Hugo évoque aussi le couchant dans ces « champs paisibles et dorés », « l'air, la plaine, les fleurs ».

Ce paysage est aussi paisible que cette nature idyllique où Dieu exerce son activité bienfaisante dans la strophe précédente. Mais l'agitation du poète transforme ce paysage et ce crépuscule par une symbolique des couleurs et par la toutepuissance des images de mort violente.

Aux fruits vermeils, à la rose, aux champs dorés par le soleil couchant et la blondeur des blés mûrissants, Victor Hugo oppose une palette tragique de tons sombres et de rouge sanglant : « Tout m'y parut plein d'ombre », « la coupole bleue », « de deuil enveloppée ». Le soir qui tombe ravive l'horreur suscitée par la nouvelle de l'assassinat et les images de meurtre se multiplient. Bruxelles elle-même semble contaminée : « Tout m'y parut plein d'ombre et de guerre civile ».

La subjectivité est totale avec le verbe « paraître » et l'alliance audacieuse de termes abstraits et concrets (« ombre » et « guerre civile »).

La population elle-même joue son rôle dans cette fantasmagorie funèbre : « Les passants me semblaient des spectres effarés ; » « Spectres » évoquent la mort, « effarés » souligne l'horreur des Bruxellois et des Français de même que leur incapacité à réagir.

On se souvient en effet que Victor Hugo s'efforça sans succès de soulever le peuple parisien le 2 décembre.

L'osmose entre le poète et le paysage justifie les échanges de vocabulaire comme dans « le soir triste » où le poète prête ses sentiments à la nature.

Enfin l'apparition de la lune permet l'explosion du fantastique et le rappel de la genèse du texte.

L'assassinat des condamnés, la présence de la guillotine expliquent l'image de la lune vue comme une « tête coupée », « sanglante » tandis que le soir (la mort) s'étend : « linceul frissonnant, de deuil enveloppée ». Napoléon III est le fossoyeur de la République et de la gauche.

Le texte s'achève donc (comme le célèbre poème Zone d'Apollinaire « Soleil cou coupé ») sur une image onirique, mais oh combien liée au prétexte du poème : l'assassinat politique. La dénonciation des crimes, leur résonance ne peuvent se faire qu'à travers un poète-héraut qui exerce une mission auprès du peuple.

Telle est l'image que Victor H\igo laisse de lui dans ce texte.. »

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