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Henry Miller

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Henry Miller est né à Yorkville, dans l'État de New York, sous le signe du Capricorne. Au bout de quelques mois, sa famille vint habiter Brooklyn, et il se considérera toujours comme un enfant de Brooklyn, un faubourien. Pendant dix ans il vivra comme il dit "dans la rue", la vie intense, joyeuse, anarchique qui était alors celle de ce quartier populaire et qu'il a évoquée avec verve et truculence dans Black Spring (1936). II notera plus tard que cet "ancien voisinage" est sa patrie véritable. Il tient par des liens étroits à sa petite bande, à ses copains. Il est déjà un émotif sous la turbulence, et sans doute promis à l'instabilité ; mais il n'en sait rien. Il est heureux. Une petite fille lui présenta, sans éveiller aucune convoitise, sa première image d'une féminité idéale. Vint ensuite, au terme de l'innocence, Cora Seward, son premier amour. S'aimant l'un l'autre tendrement, ils s'écartèrent l'un de l'autre comme par une fatalité, dont pourtant ils auraient été les seuls artisans. La trace et l'obsession de l'amour perdu de celle qui va devenir symboliquement Una, sont partout dans l'oeuvre. C'est la perte de l'objet et l'absence irrémédiable qui ont consacré ce sentiment, qui en font à jamais le seul véritable de cette existence. La longue et très impure frénésie sexuelle qui s'ensuivra n'est pas sans appeler à l'esprit des analogies, particulièrement l'histoire de Restif de la Bretonne (telle surtout que l'a vue ou imaginée Gérard de Nerval), rêvant toute sa vie d'homme dissolu à ses amours enfantines. Au reste, il ne faut pas accorder une créance absolue au jugement que Miller porte sur les circonstances de sa vie, ni surtout sur l'accident fatal de cette première relation, et sur son effet traumatique. Il est clair que c'est dans l'homme et dans sa nature qu'il faut chercher la source de l'impossibilité d'un bonheur simple, la raison déraisonnable de ce premier refus. On peut, on doit peut-être, faire entrer dans ce jeu des causalités, la situation familiale. Miller est le fils d'un tailleur originaire de Lubeck, dont toute la famille est lourdement allemande et luthérienne. D'abord prospère, le tailleur finira dans la misère. Miller connaîtra cette décroissance au fil de sa croissance. Nulle affinité profonde éprouve à l'égard des siens ne vient compenser l'inquiétude, l'insécurité de cette débâcle matérielle.

« Henry Miller Henry Miller est né à Yorkville, dans l'État de New York, sous le signe du Capricorne.

Au bout de quelques mois, sa famille vint habiter Brooklyn, et il se considérera toujours comme un enfant de Brooklyn, un faubourien.

Pendant dix ans il vivra comme il dit "dans la rue", la vie intense, joyeuse, anarchique qui était alors celle de ce quartier populaire et qu'il a évoquée avec verve et truculence dans Black Spring (1936).

II notera plus tard que cet "ancien voisinage" est sa patrie véritable.

Il tient par des liens étroits à sa petite bande, à ses copains. Il est déjà un émotif sous la turbulence, et sans doute promis à l'instabilité ; mais il n'en sait rien.

Il est heureux. Une petite fille lui présenta, sans éveiller aucune convoitise, sa première image d'une féminité idéale.

Vint ensuite, au terme d e l'innocence, Cora Seward, son premier amour.

S'aimant l'un l'autre tendrement, ils s'écartèrent l'un de l'autre comme par une fatalité, dont pourtant ils auraient été les seuls artisans.

La trace et l'obsession de l'amour perdu de celle qui va devenir symboliquement Una, sont partout dans l'oeuvre.

C'est la perte de l'objet et l'absence irrémédiable qui ont consacré ce sentiment, qui en font à jamais le seul véritable de cette existence.

La longue et très impure frénésie sexuelle qui s'ensuivra n'est pas sans appeler à l'esprit des analogies, particulièrement l'histoire de Restif de la Bretonne (telle surtout que l'a vue ou imaginée Gérard de Nerval), rêvant toute sa vie d'homme dissolu à ses amours enfantines.

Au reste, il ne faut pas accorder une créance absolue au jugement que Miller porte sur les circonstances de sa vie, ni surtout sur l'accident fatal de cette première relation, et sur son effet traumatique.

Il est clair que c'est dans l'homme et dans sa nature qu'il faut chercher la source de l'impossibilité d'un bonheur simple, la raison déraisonnable de ce premier refus.

On peut, on doit peut-être, faire entrer dans ce jeu des causalités, la situation familiale.

Miller est le fils d'un tailleur originaire de Lubeck, dont toute la famille est lourdement allemande et luthérienne.

D'abord prospère, le tailleur finira dans la misère.

Miller connaîtra cette décroissance au fil de sa croissance.

Nulle affinité profonde éprouve à l'égard des siens ne vient compenser l'inquiétude, l'insécurité de cette débâcle matérielle. Soudain, au sortir du bien-être quasi matriciel de l'enfance, Miller se trouve inexplicablement dissocié, jeté dans une alternance de joies délirantes et de désespoir.

En lui-même il éprouve cette énorme vitalité qui ne l'abandonnera jamais, ce goût de tous les jeux, cet élan vers tous les plaisirs, et cependant il sent le bonheur lui échapper ; et comme tout de même il sait bien que la perte d' "Una" est plus le signe symbolique que la cause de son mal, c'est donc au monde qu'il s'en prendra, c'est le monde américain et les "Temps Modernes" qu'il mettra en accusation, contre lesquels il dressera une révolte totale. Refusant toute collaboration, Miller sort d e l'esclavage industriel, et vit, bien ou mal entretenu, auprès d e plusieurs femmes, mais essentiellement de "Mona", dix années d'une vie purement, violemment affective, dix années de joies et de tristesses infernales, et de dégradation, dont son imagination et sa mémoire se nourriront par la suite.

C'est le chemin de la découverte de lui-même.

En 1930, Miller s'établit à Paris où il restera jusqu'en 1939.

C'est l'époque du Tropic of Cancer (1934), Black Spring (1936), Tropic of Capricorn (1939) les ouvrages qui le révèlent.

Le voyage en Grèce qu'il fait en 1939 le délivre spirituellement mieux que n'avaient fait les refus et l'anarchie : le Colossus of Maroussi qui le commémore est un livre plein de lumière et de chaleur, d'un émerveillement reconquis et d'une ouverture toute nouvelle sur les autres.

Le retour aux États-Unis en 1940 prélude à une sorte de synthèse, une double acceptation de lui-même et du monde qui se manifestera largement dans Big Sur (1956).

C'est en somme vers le moment de Maroussi qu'il semble s'être aperçu que la révolte n'est pas la libération, qu'il est resté des années l'esclave d'un tempérament très conditionné, marqué par une véritable aliénation érotique et par de violentes pulsions agressives.

Des années, il aura été un curieux et absurde mélange de Til l'Espiègle et de Hamlet.

C'est sa propre histoire "l'histoire de mon coeur" dont il a résolu de faire part au monde. Il semble au critique, qui se penche sur cette âme orageuse, qu'il a concentré ou reporté sur tel ou tel drame particulier les effets d'un traumatisme plus profond, plus obscur, plus lointain, qui devait être pendant toute sa vie adulte le mobile constant de ses actions et de ses passions, et qui, le maintenant en déséquilibre, devait animer ses écrits.

Una, Carlotta, Maude, Mona et combien d'autres incidemment seront happées et absorbées, l'espace de quelques heures ou de quelques années, par ce vide féroce et jovial.

Miller sait bien qu'il n'est pas maître de ce jeu, qu'il y est engouffré et perdu.

D.H.

Lawrence avait forgé l'expression "crucifi ed into sex" (cloué sur la croix sexuelle) pour caractériser la condamnation perpétuelle de l'homme au désir.

Miller reprend le mot et donne aux pièces centrales de son oeuvre le titre de Rosy Crucifixion ("Crucifixion en rose" Sexus Plexus, Nexus).

De cet énorme roman autobiographique, commencé, au moins dans sa tête, vers 1930, il a lui-même défini la vérité particulière, qui n'est pas nécessairement celle des faits ayant eu lieu, mais celle de grands moments émotifs dont la teneur hante sa mémoire, et dont le détail recréé, souvent évidemment inventé, exprime la nature essentielle sinon le déroulement existentiel. Pendant des années Miller fut un écrivain maudit.

En France, il est vrai, un libéralisme qui devait s'avérer provisoire avait permis la publication des Tropiques.

Une limite à ne pas franchir, ou le progrès des relations "culturelles" entre États, devait amener, en France même, l'interdiction de Sexus.

Aux États-Unis, pour ne rien dire de l'Angleterre plus rétrograde encore, Miller ne fut connu pendant des années que par des ouvrages médiocrement représentatifs (Le Tropic of Cancer), ou par ceux qui circulaient sous le manteau.

Car Miller est ce que Restif nommait bonnement un pornographe.

Il se complaît à transformer en spectacle intégral et d'un réalisme minutieusement détaillé des actes dont le commun se refuse même à admettre qu'ils puissent être accomplis commis ? loin de tout regard.

Les quelques audaces de Lady Chatterley en ce domaine sont laissées loin derrière ; car Lawrence voulait racheter la vie sexuelle en lui donnant un caractère religieux et en l'élevant au lyrisme.

Miller ne fait rien de pareil.

Ces ébats scandaleux vous ont une allure surprenante d'épreuve sportive.

Volontiers s'y ajoute l'épice d'une sorte de clownerie : la performance se transforme en numéro de cirque. Encore n'est-ce rien à côté de l'orgie sexuelle, qui d'ailleurs à mon sens est autre chose qu'une provocation, qu'un défi, qu'une affaire commerciale, qui a le sens d'une insurrection poussée au terme contre le pivot du système de quoi dépendent tous les principes d'éthique sociale de l'Occident : c'est-à-dire le moi limité et possessif.

L'amour physique sans douanes personnelles, parvenant à la conscience comme jeu et délire partagés à la ronde, voilà sans doute la note millerienne la plus audacieuse. L'écrivain est le contemporain des grands surréalistes, et si impatient qu'il soit de toute mode littéraire, il est clair qu'il doit beaucoup à l'esprit du temps qui dans les mêmes années nous a donné ces deux génies sauvages, le sien et celui de Céline.

Une verve énorme, démesurée, un génie caricatural qui tourne souvent à l'hallucination expressionniste, les caractérise l'un comme l'autre. Il faut prendre Miller à ses conditions, quitte à les contester au bout du compte.

Il ne veut pas plus connaître de contrainte esthétique qu'éthique ou sociale, et nul de ses livres n'est autre chose qu'une tranche de sa vie, bien que beaucoup d'art se dissimule dans l'agencement du récit ou la structure des scènes sous l'apparence de la spontanéité qu'il a érigée en principe.

Tel, il reste l'un des jalons du siècle.. »

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