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Giono, Regain

Extrait du document

Aubignane est collé contre le tranchant du plateau comme un petit nid de guêpes ; et c'est vrai, c'est là qu'ils ne sont plus que trois ? Sous le village la pente coule sans herbe. Presque en bas, il y a un peu de terre molle et le poil raide d'une pauvre oseraie. Dessous, c'est un vallon étroit et un peu d'eau. C'est donc des maisons qu'on a bâties là ; juste au bord, comme en équilibre, puis, au moment où ça a commencé à glisser sur la pente, on a planté, au milieu du village le pieu du clocher et c'est resté tout accroché. Pas tout : il y a une maison qui s'est décollée, qui a coulé du haut en bas, toute seule, qui est venue s'arrêter, toute les quatre fers d'aplomb, au bord du ruisseau, à la fourche du ruisseau et de ce qu'ils appelaient la route, là contre un cyprès. C'était la maison de Panturle. Le Panturle est un homme énorme. On dirait un morceau de bois qui marche. Au gros de l'été, quand il se fait un couvre-nuque avec des feuilles de figuier, qu'il a les mains pleines d'herbe et qu'il se redresse, les bras écartés, pour regarder la terre, c'est un arbre. Sa chemise pend en lambeaux comme une é cor ce. Il a une grande lèvre épaisse et difforme, comme un poivron rouge. Il envoie la main lentement sur toutes les choses qu'il veut prendre, généralement ça ne bouge pas ou ça ne bouge plus. C'est du fruit, de l'herbe ou de la bête morte : il a le temps. Et quand il tient, il tient bien. De la bête vivante, quand il en rencontre, il la regarde sans bouger; c'est un renard, c'est un lièvre, c'est un gros serpent de pierrailles. Il ne bouge pas ; il a le temps. Il sait qu'il y a, quelque part, dans un buisson, un lacet de fil de fer qui serre les cous au passage. Il a un défaut, si on peut dire : il parle seul. Ça lui est venu aussitôt après la mort de sa mère. Giono, Regain, Grasset. Vous analyserez les impressions que vous ressentez à la lecture de ce texte et vous montrerez que la composition et la forme s'accordent étroitement avec la tonalité de l'ensemble. INTRODUCTION Giono excelle à faire vivre sa Haute-Provence avec l'accent de l'homme qui aime son pays et ses habitants. Sa communion est totale avec eux et nul n'a mieux que lui ressenti ce mode d'existence simple et naturel, si proche de celui des anciens âges. Dans ce passage d'un de ses romans, Regain, il s'attache à nous décrire Aubignane, un village qui se meurt, et Panturle, un de ses derniers habitants, qui revient à la nature dans l'oubli de toute vie sociale. La composition sans apprêt, la simplicité colorée du style s'accordent étroitement avec la tonalité du texte d'où se dégagent deux impressions essentielles : celles d'une lente agonie et d'un retour à l'état sauvage.

« Aubignane est collé contre le tranchant du plateau comme un petit nid de guêpes ; et c'est vrai, c'est là qu'ils ne sont plus que trois ? Sous le village la pente coule sans herbe.

Presque en bas, il y a un peu de terre molle et le poil raide d'une pauvre oseraie. Dessous, c'est un vallon étroit et un peu d'eau.

C'est donc des maisons qu'on a bâties là ; juste au bord, comme en équilibre, puis, au moment où ça a commencé à glisser sur la pente, on a planté, au milieu du village le pieu du clocher et c'est resté tout accroché.

Pas tout : il y a une maison qui s'est décollée, qui a coulé du haut en bas, toute seule, qui est venue s'arrêter, toute les quatre fers d'aplomb, au bord du ruisseau, à la fourche du ruisseau et de ce qu'ils appelaient la route, là contre un cyprès.

C'était la maison de Panturle. Le Panturle est un homme énorme.

On dirait un morceau de bois qui marche.

Au gros de l'été, quand il se fait un couvre-nuque avec des feuilles de figuier, qu'il a les mains pleines d'herbe et qu'il se redresse, les bras écartés, pour regarder la terre, c'est un arbre.

Sa chemise pend en lambeaux comme une é cor ce.

Il a une grande lèvre épaisse et difforme, comme un poivron rouge.

Il envoie la main lentement sur toutes les choses qu'il veut prendre, généralement ça ne bouge pas ou ça ne bouge plus.

C'est du fruit, de l'herbe ou de la bête morte : il a le temps.

Et quand il tient, il tient bien. De la bête vivante, quand il en rencontre, il la regarde sans bouger; c'est un renard, c'est un lièvre, c'est un gros serpent de pierrailles.

Il ne bouge pas ; il a le temps.

Il sait qu'il y a, quelque part, dans un buisson, un lacet de fil de fer qui serre les cous au passage. Il a un défaut, si on peut dire : il parle seul.

Ça lui est venu aussitôt après la mort de sa mère. Giono, Regain, Grasset. Vous analyserez les impressions que vous ressentez à la lecture de ce texte et vous montrerez que la composition et la forme s'accordent étroitement avec la tonalité de l'ensemble. INTRODUCTION Giono excelle à faire vivre sa Haute-Provence avec l'accent de l'homme qui aime son pays et ses habitants.

Sa communion est totale avec eux et nul n'a mieux que lui ressenti ce mode d'existence simple et naturel, si proche de celui des anciens âges. Dans ce passage d'un de ses romans, Regain, il s'attache à nous décrire Aubignane, un village qui se meurt, et Panturle, un de ses derniers habitants, qui revient à la nature dans l'oubli de toute vie sociale.

La composition sans apprêt, la simplicité colorée du style s'accordent étroitement avec la tonalité du texte d'où se dégagent deux impressions essentielles : celles d'une lente agonie et d'un retour à l'état sauvage. I.

LA COMPOSITION La composition est volontairement simple.

La vision panoramique, au début, fait descendre successivement notre regard depuis le village et son site jusqu'au vallon en contrebas.

Puis le champ de la vision se rétrécit de l'ensemble du village à cette maison qui a glissé jusqu'au bord du ruisseau.

On passe ensuite naturellement de la demeure à celui qui l'habite.

A son tour il nous est décrit d'abord dans une sorte de synthèse de son comportement, puis nous le voyons s'animer dans le détail de quelques-uns de ses faits et gestes.

Bref, il s'agit moins d'une description organisée que d'une pénétration progressive du cadre et de l'invividu.

C'est une atmosphère particulière dont nous prenons une conscience de plus en plus précise, avec le déroulement du texte. II.

UNE IMPRESSION D'AGONIE De cette atmosphère se dégage d'abord une impression d'agonie.

Elle nous est donnée en premier lieu par l'aspect même du paysage : le glissement de terrain qui a entraîné la maison de Panturle jusqu'au bord du ruisseau témoigne du délabrement du sol.

L'état précaire de la végétation est évoqué par plusieurs détails significatifs : la pente entièrement dénudée que surplombe le village, l'arbre unique qui se dresse au bord du ruisseau et cette « pauvre oseraie » dont le « poil raide » souligne l'état maladif.

Quant au village, il ne semble tenir debout que par miracle, dans un équilibre instable, maintenu à grand peine par « le pieu du clocher ».

Il ne tient pas solidement par ses assises : il est seulement « tout accroché ».

La désertion progressive des habitants accuse cette impression d'agonie : «C'est là qu'ils ne sont plus que trois».

Encore ne voyons-nous que Panturle qui vit seul depuis la mort de sa mère.

L'impression d'esseulement est mise tragiquement en relief par cette habitude qu'il a prise de « parler seul ». III.

LE RETOUR A LA VIE SAUVAGE Comme il est naturel, dans ce site presque abandonné, la civilisation disparaît.

Du chemin il ne reste plus qu'un souvenir (« ce qu'ils appelaient la route »). A en juger par l'impression d'ensemble qui s'en dégage, le village semble participer à la vie de la nature, mais à une vie non domestiquée : il « est collé contre le tranchant du plateau comme un petit nid de guêpes ».

Panturle s'harmonise étroitement avec ce milieu.

Par son aspect il s'en distingue à peine : « on dirait un morceau de bois qui marche ».

Quant il se fige dans certaines attitudes : « les mains pleines d'herbe...

les bras écartés », l'illusion est complète : « il est un arbre ».

Et jusque dans le détail, la même impression se renforce : « sa chemise pend en lambeaux comme une écorce », sa lèvre, par ses dimensions et sa couleur, évoque irrésistiblement « un poivron rouge ».

On dirait que le lieu l'a modelé à son image.

Son mode de vie marque aussi une régression.

Ce n'est plus de la culture mais de la chasse qu'il tire sa subsistance.

Et dans la quête du gibier il a la patience des animaux chasseurs. IV.

LE STYLE La forme s'accorde étroitement avec la tonalité de la description.

Giono écrit comme on parle ou plutôt comme doivent parler les paysans à Aubignane.

Il utilise des expressions volontairement simples et même gauches.

« Il y a un peu de terre...

il y a une maison...

C'est un vallon...

c'est un arbre...

c'est un lièvre », et sans vain souci d'élégance il les répète à satiété.

Il s'exprime avec des hésitations, des repentirs.

« Il a un défaut si l'on peut dire.

» A la manière des paysans il use et abuse du singulier collectif : « C'est du fruit, de l'herbe ou de la bête morte ».

Certaines impropriétés de termes sont empruntées aussi au langage du terroir : Panturle « envoie » lentement la main sur toutes les choses qu'il veut prendre.

Et comme un paysan, il a souvent recours à des comparaisons et à des images qui s'inspirent des manifestations naturelles et campagnardes de la vie.

La lèvre de Panturle est « comme un poivron rouge ».

Sa maison « est venue s'arrêter toute les quatre fers d'aplomb au bord du ruisseau ».

Enfin, Giono juxtapose ses phrases sans se soucier d'établir de l'une à l'autre un lien logique par une conjonction appropriée.

Cette absence de rigueur renforce encore l'impression de spontanéité sans apprêt qui se dégage de l'ensemble. CONCLUSION Le talent de Giono se révèle donc pleinement dans cette description.

Homme du terroir, il a le don d'évoquer dans la note juste ce cadre où il a choisi de passer son existence.

Le pittoresque, qu'il ne recherche pas, naît de l'exactitude de la vision.

Mais ce cadre est en même temps une atmosphère.

Cette peinture d'un village voué à la mort communique au lecteur un sentiment de tristesse pesante.

Pourtant, tout espoir n'est pas perdu.

Il suffira qu'une femme vienne partager la vie de Panturle pour que tout se transforme.

L'homme imposera à nouveau sa domination à la terre.

A nouveau elle produira de belles récoltes.

A l'agonie du village succédera sa résurrection.. »

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