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François Marie Arouet, dit VOLTAIRE (1694-1778) - A Mme Lullin

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François Marie Arouet, dit VOLTAIRE (1694-1778) - A Mme Lullin Hé quoi ! vous êtes étonnée Qu'au bout de quatre-vingts hivers, Ma Muse faible et surannée Puisse encor fredonner des vers ? Quelquefois un peu de verdure Rit sous les glaçons de nos champs ; Elle console la nature, Mais elle sèche en peu de temps. Un oiseau peut se faire entendre Après la saison des beaux jours ; Mais sa voix n'a plus rien de tendre, Il ne chante plus ses amours. Ainsi je touche encor ma lyre Qui n'obéit plus à mes doigts ; Ainsi j'essaie encor ma voix Au moment même qu'elle expire. "Je veux dans mes derniers adieux, Disait Tibulle à son amante, Attacher mes yeux sur tes yeux, Te presser de ma main mourante." Mais quand on sent qu'on va passer, Quand l'âme fuit avec la vie, A-t-on des yeux pour voir Délie, Et des mains pour la caresser ? Dans ce moment chacun oublie Tout ce qu'il a fait en santé. Quel mortel s'est jamais flatté D'un rendez-vous à l'agonie ? Délie elle-même, à son tour, S'en va dans la nuit éternelle, En oubliant qu'elle fut belle, Et qu'elle a vécu pour l'amour. Nous naissons, nous vivons, bergère, Nous mourons sans savoir comment ; Chacun est parti du néant : Où va-t-il ?... Dieu le sait, ma chère.

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