Firdousi
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Firdousi
Abu al-Qasim Mansur ibn Firdousi est né vers 932 de notre ère à Tous dans le Khorassan, patrie de quelques-uns des plus
grands esprits de l'Asie.
La vocation poétique de ce petit gentilhomme campagnard (ou gros cultivateur) a été activée il
nous le dit lui-même par son désir d'acquérir à la fois l'aisance et la gloire.
Ambition mesurée d'un artiste conscient de son
rôle : celle-ci devait récompenser son patriotisme, celle-là son labeur.
Le Livre des Rois incorporerait toutes les traditions
épiques, légendaires ou historiques, de l'Iran.
Il y travailla toute sa vie, ne s'interrompant, après une première rédaction,
que pour écrire son Youssouf et Zulikha, mais on n'est pas certain que cette oeuvre soit authentique.
Encouragé et
entretenu par des protecteurs locaux et jouissant déjà d'un certain renom, il cherche enfin à présenter son oeuvre à des
princes plus puissants.
Précisément au moment où la dynastie persane des Samanides qui régnait sur le Khorassan était
renversée par les Turcomans, Mowaffaq, bientôt vizir de l'émir Baha'ud-Dawlah, l'attire à Bagdad.
Une disgrâce du ministre
ramène Firdousi dans sa patrie.
Il ne la quittera que pour porter son poème à Mahmoud, fils de ce Soboktakin, qui vient de
se tailler un royaume jusque dans l'Afghanistan, fondant ainsi la première grande dynastie turque à jouer un rôle dans
l'histoire musulmane.
Mahmoud est un mécène : il s'est fait construire à Ghazna un magnifique palais, il fait venir de
partout des savants, des poètes, des philosophes.
Le grand historien et géographe Albirouni consent pour lui à quitter sa
Chorasmie natale (Avicenne, plus prudent, se dérobe).
Firdousi compte sur l'appui du ministre de Mahmoud, Fazl, qui s'est
employé à remplacer l'arabe par le persan dans la nouvelle administration.
Encore une fois, il perd son protecteur :
d'ailleurs l'éloge de Mahmoud dont il a émaillé son poème est trop peu fourni aux yeux du potentat ; mais surtout Firdousi
chante les victoires des Iraniens sur les Turcs et adhère au Chiisme, tandis que Mahmoud est un Sunnite farouche.
Il se
contente de payer vingt mille pièces d'argent l'oeuvre d'une vie.
Bouleversé et furieux, Firdousi s'enfuit auprès d'un petit
prince iranien et rédige une satire contre Mahmoud.
Son nouveau protecteur, bon politique autant que généreux, lui offre
cent mille pièces s'il consent à la détruire.
Firdousi rentre à Tous, où il meurt vers 1020 : la légende veut qu'une donation
superbe de Mahmoud repentant soit arrivée le jour où le poète était porté en terre.
L'auteur du Livre des Rois n'eût-il été qu'un rimailleur, son poème n'en serait pas moins d'une incomparable valeur pour
l'historien tant sont effacées les traces du passé héroïque de l'Iran : il ne nous en reste que quelques fragments dans
l'Avesta et les autres livres mazdéens, mais rien qui puisse se comparer à l'abondance des matériaux dont dispose, pour
son épopée, l'Inde ou la Grèce.
Sans Firdousi (et ses émules) le paladin Roustem n'aurait été pour nous qu'un nom, et
celui de tant de héros nous serait demeuré caché : Sohrab, Gouderz, Guiv...
L'histoire de la dynastie sassanide ne nous serait connue que par quelques monnaies et inscriptions et le témoignage
d'auteurs étrangers, grecs, latins, arabes, chinois.
Le génie de la Perse serait pour nous ce que nous en révèlent ses
grands lyriques et ses mystiques.
Le monde formidable de ses guerriers armés d'épées, de massues et de lacets, et sans
cesse à cheval, ne nous serait évoqué que par les sculptures rupestres, encore intactes, tant elles sont massives, de
l'époque sassanide : et c'est bien là l'illustration qui convient au Livre des Rois, plus que l'art, en lui-même si attachant,
des miniatures qui en décoreront tant de somptueux manuscrits.
Firdousi a su puiser à une tradition dont les documents,
écrits ou oraux, subsistaient encore.
Un Livre des Rois en pahlavi avait déjà été traduit en arabe.
Un poète, peut-être
zoroastrien, Daqiqi, avait ouvert la voie : il mourut jeune, laissant un fragment d'épopée en persan que Firdousi annexa à
la sienne, dans un sentiment de piété qui d'ailleurs n'excluait pas la critique.
Consciencieux, conservateur même, son Livre
des Rois n'a pourtant rien d'une sèche chronique : entraîné par la vie, le récit comporte des enjolivements, des
enchevêtrements d'épisodes romanesques, des descriptions réalistes ou hyperboliques, des lenteurs calculées, des
répétitions même car des héros de même valeur accomplissent successivement et en d'autres lieux des prouesses
analogues mais aussi des temps d'arrêt où s'insèrent considérations, invocations, confidences personnelles, bref une
invention et une liberté qui permettent à cet immense poème de plus de cinquante mille distiques de se lire sans ennui.
Mais il était fait pour être entendu : et jusqu'à nos jours, il est déclamé par les récitateurs professionnels, par les athlètes
de foire qui scandent leurs jongleries au rythme de ses vers, tandis que les petits enfants y apprennent les rudiments de
la poésie, de l'histoire et de la sagesse.
C'est que ces guerres incessantes entre l'Iran et son voisin le Touran sont commandées par des sentiments très simples
et très humains : la gloire, l'ambition, la vengeance, l'amour de la justice, la clémence.
Les situations ne le sont pas moins
: poursuites haletantes, déplorables disparitions, émouvantes reconnaissances, combats singuliers, ruses de guerre,
carnages, victoires in extremis, butins.
Les repos sont marqués par de débonnaires beuveries ou de chastes amours.
Le
luxe des fêtes est abondance plus que raffinement.
Rien de voluptueux ou de cruel : les ennemis eux-mêmes ne sont
guère des félons, mais cèdent à des entraînements funestes.
Souvent ils obéissent au Sort qui joue ici son rôle sans
préjudice de la Guidance divine.
La religion qu'on prête à ces héros antéislamiques est assez fruste.
Aucune affinité, sinon
peut-être dans l'art du récit, entre le Livre des Rois et cet autre pôle de la poésie persane, l'épopée, mystique cette fois,
du Mesnevi de Jalal el-Din Roumi.
D'autres pourront utiliser tel épisode de la tradition épique pour y rattacher un itinéraire
spirituel qui se développe en climat soufi.
Firdousi ignore toute transposition subtile, tout symbolisme.
Sa chanson de
geste n'annonce pas les mystiques de l'amour courtois.
Sa langue, un persan presque pur qu'il arracha pour un temps à
l'envahissement de l'arabe, le mètre uniforme de ses distiques à rimes plates fournirent à son poème l'instrument
dépouillé et vigoureux qui lui convenait.
Il eut des imitateurs qui ne furent pas tous médiocres, mais on est tenté de dire
que, par sa franchise et sa simplicité, son oeuvre épuise le genre.
Au sein d'une culture poétique aussi riche que la
persane, Firdousi demeure pour ses compatriotes le poète le plus populaire et le moins discuté..
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