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Eugène Ionesco, La Leçon, 1951.

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Eugène Ionesco, La Leçon, 1951. LE PROFESSEUR - Toute langue, Mademoiselle, sachez-le, souvenez-vous-en jusqu'à l'heure de votre mort... L'ELEVE - Oh ! Oui, Monsieur, jusqu'à l'heure de ma mort... Oui, Monsieur... LE PROFESSEUR - ...et ceci est encore un principe fondamental, toute langue n'est en somme qu'un langage, ce qui implique nécessairement qu'elle se compose de sons, ou... L'ELEVE - Phonèmes... LE PROFESSEUR - J'allais vous le dire. N'étalez donc pas votre savoir. Ecoutez, plutôt. L'ELEVE - Bien, Monsieur. Oui, Monsieur. LE PROFESSEUR - Les sons, Mademoiselle, doivent être saisis au vol par les ailes pour qu'ils ne tombent pas dans les oreilles des sourds. Par conséquent, lorsque vous vous décidez d'articuler, il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez... L'ELEVE - Oui, Monsieur. LE PROFESSEUR - Taisez-vous. Restez assise, n'interrompez pas... Et d'émettre les sons très haut et de toute la force de vos poumons associée à celle de vos cordes vocales. Comme ceci : regardez : "Papillon", "Euréka", "Trafalgar", "papi, papa". De cette façon, les sons remplis d'un air chaud plus léger que l'air environnant voltigeront, voltigeront sans plus risquer de tomber dans les oreilles des sourds qui sont les véritables gouffres, les tombeaux des sonorités. Si vous émettez plusieurs sons à une vitesse accélérée, ceux-ci s'agripperont les uns aux autres automatiquement, constituant ainsi des syllabes, des mots, à la rigueur des phrases, c'est-à-dire des groupements plus ou moins importants, des assemblages purement irrationnels de sons, dénués de tout sens, mais justement pour cela capables de se maintenir sans danger à une altitude élevée dans les airs. Seuls, tombent les mots chargés de signification, alourdis par leur sens, qui finissent toujours par succomber, s'écrouler... L'ELEVE - ... dans les oreilles des sourds. LE PROFESSEUR - C'est ça, mais n'interrompez pas... et dans la pire confusion...Ou par crever comme des ballons. Ainsi donc, Mademoiselle...(L'Elève a soudain l'air de souffrir). Qu'avez-vous donc ? L'ELEVE - J'ai mal aux dents, Monsieur. LE PROFESSEUR - Ça n'a pas d'importance. Nous n'allons pas nous arrêter pour si peu de chose. Continuons... L'ELEVE, qui aura l'air de souffrir de plus en plus. - Oui, Monsieur. LE PROFESSEUR - J'attire au passage votre attention sur les consonnes qui changent de nature en liaisons. Les f deviennent en ce cas des v, les d des t, les g des k et vice versa, comme dans les exemples que je vous signale : "trois heures, les enfants, le coq au vin, l'âge nouveau, voici la nuit". L'ELEVE - J'ai mal aux dents. LE PROFESSEUR - Continuons. L'ELEVE - Oui.

« Commentaire d’un extrait de La Leçon d’Eugène Ionesco Introduction : Notre texte est extrait de La Leçon, pièce d’Eugène Ionesco, qui fut créée à Paris au Théâtre de Poche le 20 février 1951.

Ionesco s’inspira, pour écrire cette pièce, d’un manuel scolaire (le livre d’arithmétique de sa propre fille, alors âgée de six ans) pour démonter structures langagières et pédagogie. Dans une petite ville de province, une élève désireuse de se présenter au «doctorat total» vient prendre un cours particulier.

La leçon commence, loufoque, mêlant mathématiques élémentaires et sciences du langage, malgré les objurgations de la bonne («La philologie mène au pire»).

Le vieux professeur, d’abord timide et obséquieux, mais bientôt grisé par l’exercice de son pouvoir et par un discours délirant, réduit peu à peu son élève à une absolue soumission et la tue.

Après nous avoir appris que, chaque jour, quarante jeunes filles subissent le même sort, la bonne accueille une nouvelle élève. Projet de lecture : Ionesco, à travers cette caricature de l'enseignement, cherche à exposer l'échec de la communication conduisant au néant. I) Une scène comique 1) Des personnages comiques Les deux personnages favorisent le comique de la scène. a) Le ridicule du professeur Le professeur apparaît comme un personnage totalement ridicule tant dans ses paroles que dans son attitude. Pour montrer le ridicule de ce personnage, analysez les conseils de posture qu’il donne à l’élève : « Par conséquent, lorsque vous vous décidez d'articuler, il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez » à conseils totalement incongrus ici ( évoquer ici la clin d’œil à la scène de diction du Bourgeois Gentilhomme de Molière, scène comique par excellence) Analysez aussi le lyrisme ridicule teinté de discours scientifique du professeur : « De cette façon, les sons remplis d'un air chaud plus léger que l'air environnant voltigeront, voltigeront sans plus risquer de tomber dans les oreilles des sourds qui sont les véritables gouffres, les tombeaux des sonorités » à 2 types de discours sont ici mêlés : un discours appartenant au domaine de a physique ( cf.

les considération sur la légèreté de l’air chaud) et un discours lyrique voire poétique ( cf.

redondance du verbe « voltigeront », métaphore « les tombeaux des sonorités »).

Ces deux types de discours ne sont en aucun cas de mise dans une leçon de diction et de phonétique et leur association au sein d’une même phrase accentue le ridicule du professeur. b) Le comportement de l’élève Le comportement de l’élève aussi est source de comique.

L’élève semble avoir une attitude moqueuse face à son professeur : étudier ici la façon dont la jeune fille répète certaines paroles du professeur : « LE PROFESSEUR - Toute langue, Mademoiselle, sachez-le, souvenez-vous-en jusqu'à l'heure de votre mort... L'ELEVE - Oh ! Oui, Monsieur, jusqu'à l'heure de ma mort...

Oui, Monsieur » « L'ELEVE - ...

dans les oreilles des sourds.

» 2) Le comique de situation La situation présentée est en elle-même comique.

Ce comique de situation est sensible dans la leçon de sons et de prononciation que délivre le professeur. Etudier ici le passage où le professeur montre lui-même un exemple pratique de prononciation à son élève : « LE PROFESSEUR - Les sons, Mademoiselle, doivent être saisis au vol par les ailes pour qu'ils ne tombent pas dans les oreilles des sourds.

Par conséquent, lorsque vous vous décidez d'articuler, il est recommandé, dans la mesure du possible, de lever très haut le cou et le menton, de vous élever sur la pointe des pieds, tenez, ainsi, vous voyez... L'ELEVE - Oui, Monsieur.

LE PROFESSEUR - Taisez-vous.

Restez assise, n'interrompez pas...

Et d'émettre les sons très haut et de toute la force de vos poumons associée à celle de vos cordes vocales.

Comme ceci : regardez : "Papillon", "Euréka", "Trafalgar", "papi, papa".

» à étudier ici les indications de mise en scène contenues dans la réplique : « tenez, ainsi, vous voyez… » ; « comme ceci : regardez » : elles indiquent que le professeur montre lui-même l’exemple à la jeune fille dans une mise en scène ridicule qui prête à rire ; le metteur en scène doit ici accentuer le comique de cette scène par les mimiques et la gestuelle du personnage.. »

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