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Ernest d' HERVILLY (1839-1911) (Recueil : Le harem) - A la Lousiane

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Ernest d' HERVILLY (1839-1911) (Recueil : Le harem) - A la Lousiane Sous l'azur enflammé le vieux Mississipi Fume. - Il est midi. - Les tortues Dorment. Le caïman aux mâchoires pointues Bâille, dans le sable accroupi. Les cloches ont sonné le breakfast dans la plaine ; Et l'on n'aperçoit plus, là-bas, Dans les cannes à sucre et dans les verts tabacs, Les nègres aux cheveux de laine. Tandis que sur les champs où gisent les paniers Des noirs étendus dans leurs cases, Le soleil tombe droit et dessèche les vases Nourricières des bananiers, Chez Jefferson and Co, dont le coton, par balles, Gorge Le Havre et Manchester, On siffle le petit Africain Jupiter, Un rejeton de cannibales ! Jupiter, négrillon vorace et somnolent, Qui chérit l'éclat blanc du linge, Un large éventail jaune entre ses doigts de singe, S'avance d'un pas indolent. Or, préférant, selon toutes les conjectures, La cuisine à la véranda, Il évente, rêveur, sa maîtresse Tilda, En digérant des confitures. Et, cependant qu'il suit de son gros oeil d'émail Les zigzags sans fin d'une mouche, L'ivoire de ses dents brille au bord de sa bouche, Entre deux croissants de corail. Un jour discret emplit la véranda tranquille, Filtré par les feuillages verts ; Les stores de rotin au hasard entr' ouverts Laissent passer des fleurs par mille. Nul bruit. - L'éventail bat l'air tiède et parfumé Avec un soupir monotone ; Un griffon de Cuba, muet, se pelotonne Ou s'étire, ingrat trop aimé ! Deux splendides aras, de leur perchoir d'ébène Lancent, assoupis, des clins d'yeux Sur l'enfant noir, objet de leur secrète haine, Et sur le Havanais soyeux. Un macaque chéri, jeune mais blasé, grave Comme au Sénat le Président, Crève, plein d'insolence, et du bout de la dent, La peau jaune d'une goyave. Au-dehors les crapauds se taisent dans les joncs Mystérieux des marécages. Les moqueurs alanguis ont cessé dans leurs cages De contrefaire les pigeons. Miss Tilda Jefferson, une enfant paresseuse, Paresseuse créolement, Abandonne son corps au tangage charmant Et doux de sa large berceuse ; Elle est pâle, très pâle, avec des cheveux bruns, Dans son peignoir de mousseline. On voit à la blancheur de l'ongle à sa racine Que son sang noble est pur d'emprunts. Le balancin de canne où miss Tilda repose Obéit à son poids léger ; La chère créature au doux nom étranger A l'oreille porte une rose. Sa suivante Euphrasie, en madras jaune et bleu, Aux grosses lèvres incarnates, Rit, sans savoir pourquoi, dans un coin, sur les nattes, Humant sa cigarette en feu. Miss Tilda Jefferson fait la sieste ; elle rêve ; Elle pense à son doux ami ; Ses admirables yeux sont fermés à demi Son nègre l'évente sans trêve. L'oeil clos, miss Tilda suit Davis Brooks, son amant, Sur les houles de l'Atlantique, Tandis que Jupiter, harcelé d'un moustique, La contemple piteusement. Elle voit son Davis, tête hâlée et fière, Sur le pont du schooner " The Fly ", Qui fume, accoudé sur l'habitacle poli, En casquette à longue visière ; Le schooner roule et tangue, et ses mâts gracieux Jettent leur ombre sur les lames, Et l'ombre des huniers, des espars et des flammes... Davis Brooks paraît soucieux. Miss Jefferson sourit - (le fin navire lofe Et s'éloigne), - ses doigts mignons S'agitent faiblement, délicats compagnons Du sein qui tremble sous l'étoffe. Ainsi, sur l'Océan, où croise son amour, La blanche miss Tilda s'égare, A laquelle ce soir, en brûlant un cigare, Trente planteurs feront leur cour. Mais, hélas ! insensible à tant de poésie, Jupiter pousse un cri plaintif, Et dans son coin obscur, toujours sans nul motif, Rit la mulâtresse Euphrasie. Autour d'eux le chien blanc, les perroquets pourprés Et le singe roux, tout sommeille ; Le vent qui passe apporte, avec un bruit d'abeille, L'odeur des ananas dorés.

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