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Eluard, « Le cinquième poème visible »

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Eluard, « Le cinquième poème visible » Je vis dans les images innombrables des saisons Et des années Je vis dans les images innombrables de la vie Dans la dentelle Des formes des couleurs des gestes des paroles Dans la beauté surprise Dans la laideur commune Dans la clarté fraîche aux pensées chaude aux désirs Je vis dans la misère et la tristesse et je résiste Je vis malgré la mort Je vis dans la rivière atténuée et flamboyante Sombre et limpide Rivière d'yeux et de paupières Dans la forêt sans air dans la prairie béate Vers une mer au loin nouée au ciel perdu Je vis dans le désert d'un peuple pétrifié Dans le fourmillement de l'homme solitaire Et dans mes frères retrouvés Je vis en même temps dans la famine et l'abondance Dans le désarroi du jour et dans l'ordre des ténèbres Je réponds de la vie je réponds d'aujourd'hui Et de demain Sur la limite et l'étendue Sur le feu et sur la fumée Sur la raison sur la folie Malgré la mort malgré la terre moins réelle Que les images innombrables de la mort Je suis sur terre et tout est sur terre avec moi Les étoiles sont dans mes yeux j'enfante les mystères A la mesure de la terre suffisante La mémoire et l'espoir n'ont pas pour bornes les mystères Mais de fonder la vie de demain d'aujourd'hui. Paul Eluard, tiré de 'A l'intérieur de la vue' 1947

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