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DIDEROT, De la poésie dramatique

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Si le peuple n'avait jamais eu qu'un genre de spectacle, plaisant et gai, et qu'on lui en proposât un autre, sérieux et touchant, sauriez-vous, mon ami, ce qu'il en penserait ? Je me trompe fort, ou les hommes de sens, après en avoir conçu la possibilité, ne manqueraient pas de dire : « A quoi bon ce genre ? La vie ne nous apporte-t-elle pas assez de peines réelles, sans qu'on nous en fasse encore d'imaginaires ? Pourquoi donner entrée à la tristesse jusque dans nos amusements ?» Ils parleraient comme des gens étrangers au plaisir de s'attendrir et de répandre des larmes. L'habitude nous captive. Un homme-a-t-il paru avec une étincelle de génie ? A-t-il produit quelque ouvrage ? D'abord il étonne et partage les esprits ; peu à peu il les réunit ; bientôt il est suivi d'une foule d'imitateurs ; les modèles se multiplient, on accumule les observations, on pose des règles, l'art naît, on fixe ses limites ; et l'on prononce que tout ce qui n'est pas compris dans l'enceinte étroite qu'on a tracée, est bizarre et mauvaise : ce sont les colonnes d'Hercule ; on n'ira point au-delà sans s'égarer. Mais rien ne prévaut contre le vrai. Le mauvais passe, malgré l'éloge de l'imbécilité ; et le bon reste, malgré l'indécision de l'ignorance et la clameur de l'envie. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que les hommes n'obtiennent justice que quand ils ne sont plus. Ce n'est qu'après qu'on a tourmenté leur vie, qu'on jette sur leurs tombeaux quelques fleurs inodores. Que faire donc ? Se reposer, ou subir une loi à laquelle de meilleurs que nous ont été soumis. Malheur à celui qui s'occupe, si son travail n'est pas la source de ses instants les plus doux, et s'il ne sait pas se contenter de peu de suffrages ! DIDEROT, De la poésie dramatique

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