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Depuis le XVIIIième siècle, on affirmait la concordance des progrès techniques et du progrès moral. Pensez-vous qu'on ait des raisons aujourd'hui de la remettre en cause ?

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Dans ce livre, le train est un beau monstre, certes capable de transporter des centaines de passagers mais aussi capable de tuer, de dérailler et de faire « dérailler » ceux qui l'approchent. Son conducteur, Jacques Lantier, est d'ailleurs un déséquilibré. Ce qui est en cause dans La bête humaine comme d'ailleurs dans le film de Charlie Chaplin, Les temps modernes, c'est le danger d'une déshumanisation par le travail, suscitée par l'évolution accélérée des techniques. Dans cette même perspective s'inscrit la réflexion de Jean-Marie Domenach (article du Monde, décembre 1976) à propos des progrès de la vitesse dans notre civilisation : le perfectionnement des automobiles et des trains leur permet d'atteindre des vitesses toujours plus grandes. Mais pour quel progrès humain ? « Les coûts, les nuisances, les accidents » remettent en cause cette prétendue amélioration. À l'heure actuelle, les avancées de la science dans le domaine de la génétique suscitent également des polémiques et font redouter de dangereuses et imprévisibles manipulations du « matériau » humain. On peut enfin évoquer les critiques adressées à la civilisation des écrans, c'est-à-dire au règne des nouvelles communications à distance qui appauvriraient les relations humaines en isolant toujours plus les individus. Loin d'engendrer un progrès moral, le progrès technique serait donc coupable de dégrader le tissu social et de menacer le bonheur de l'homme. On en vient même à reprocher aux savants leur absence de sens moral et l'on franchit parfois le pas en les décrivant comme de redoutables apprentis sorciers capables de détruire la planète ou d'en devenir les maîtres.

« Pour la plupart des philosophes du XVIIIe siècle, le progrès scientifique et technique qu'ils appelaient d e leurs vœux devait nécessairement s'accompagner d'un progrès moral d e l'humanité tout entière, le second étant d'ailleurs conditionné par le premier.

À chaque pas accompli par l'homme dans le champ du savoir, à chaque progrès de l'esprit, devait logiquement correspondre une évolution positive dans le domaine des mœurs.

Les penseurs des Lumières comptaient ainsi sur le génie scientifique pour libérer l'homme du préjugé et d e l'erreur et pour lui permettre d'être en plus parfaite harmonie avec le monde qui l'entoure.

Cette vision optimiste a difficilement résisté aux chocs des différentes révolutions industrielles qui ont jalonné l'histoire des deux derniers siècles.

En constatant la persistance des guerres et des maux de tous ordres affectant les sociétés techniquement développées, on en est venu à séparer, comme deux domaines étrangers, le terrain de la science et celui de la morale.

Aujourd'hui, les progrès réalisés dans le domaine des sciences et des techniques suscitent autant de craintes et d'interrogations que d'enthousiasmes.

C'est que l ' h o m m e d e la rue s'interroge, somme toute légitimement, sur les conséquences nouvelles de ces « progrès » dans sa vie quotidienne.

S'il se sent parfois pris au piège de cette évolution, il sait aussi en reconnaître les mérites.

Il faut surtout qu'il soit informé afin de prendre ses responsabilités dans un domaine qui trop souvent lui échappe. À l'heure des « villes tentaculaires », des machines apparemment souveraines, des arsenaux nucléaires, la corrélation entre le progrès technique et le progrès moral apparaît très problématique.

Il n'y a pas de progrès moral si l'homme ne se sent pas délivré des entraves et des craintes qui pèsent sur sa vie.

Il n'est pas heureux si son existence est menacée ou aliénée. Au siècle des Lumières, les pas de géant accomplis par la science dans le domaine médical, les innovations en agriculture marquant une rémission dans le cycle douloureux des famines, les explorations de pays lointains rendues possibles par les progrès de la navigation, toutes ces avancées de l'esprit humain avaient fait naître un immense espoir.

L'humanisme du XVIIIe siècle croyait en une amélioration de la condition de l'homme, espérait une libération, imaginait le bonheur.

Mais, un siècle plus tard, s'il existe encore des optimistes (on les appelle « positivistes » ou « scientistes ») pour croire en un progrès moral consécutif au progrès technique, force est de constater que de nombreux esprits s'inquiètent des évolutions de la civilisation humaine, industrielle et urbaine. C'est en effet essentiellement autour des machines nouvelles suscitées par l'industrie et autour du développement souvent anarchique des grandes villes modernes que se cristallisent les angoisses des sociétés techniciennes.

Le roman de Zola, la Bête humaine, consacré à l'univers des chemins de fer, est très révélateur de la fascination mêlée de peur qui s'exprime à la fin du XIXe siècle devant le progrès technique.

Dans ce livre, le train est un beau monstre, certes capable de transporter des centaines de passagers mais aussi capable de tuer, de dérailler et de faire « dérailler » ceux qui l'approchent.

Son conducteur, Jacques Lantier, est d'ailleurs un déséquilibré.

Ce qui est en cause dans La bête humaine comme d'ailleurs dans le film d e Charlie Chaplin, Les temps modernes, c'est le danger d'une déshumanisation par le travail, suscitée par l'évolution accélérée des techniques. Dans cette même perspective s'inscrit la réflexion de Jean-Marie Domenach (article du Monde, décembre 1976) à propos des progrès de la vitesse dans notre civilisation : le perfectionnement des automobiles et des trains leur permet d'atteindre des vitesses toujours plus grandes.

Mais pour quel progrès humain ? « Les coûts, les nuisances, les accidents » remettent en cause cette prétendue amélioration. À l'heure actuelle, les avancées de la science dans le domaine de la génétique suscitent également des polémiques et font redouter de dangereuses et imprévisibles manipulations du « matériau » humain. On peut enfin évoquer les critiques adressées à la civilisation des écrans, c'est-à-dire au règne des nouvelles communications à distance qui appauvriraient les relations humaines en isolant toujours plus les individus. Loin d'engendrer un progrès moral, le progrès technique serait donc coupable de dégrader le tissu social et de menacer le bonheur de l'homme.

On en vient même à reprocher aux savants leur absence de sens moral et l'on franchit parfois le pas en les décrivant comme de redoutables apprentis sorciers capables de détruire la planète ou d'en devenir les maîtres.

On peut expliquer cette mythologie de sciencefiction en constatant que chaque période de mutation technique engendre une instabilité des valeurs, une remise en cause des traditions et des certitudes acquises et, par conséquent, un malaise du profane devant un univers nouveau qui le dépasse.

Pourtant, il est possible de relever des conséquences positives du progrès technique. Ainsi, en favorisant un extraordinaire développement d e l'infor-mation, d e la communication, la civilisation moderne s'est dotée d e nouveaux moyens pour maîtriser l'espace.

En annulant quasiment les distances, par la télévision, le téléphone, l'avion, elle rend possibles de nouvelles relations entre les hommes, de nouvelles connaissances.

Il en résulte un progrès moral si les hommes savent utiliser ces nouveaux moyens d e communication pour leur épanouissement culturel, s'ils savent inventer des formes inédites d e vie sociale plus solidaires et plus fraternelles, s'ils en profitent pour sortir de leur isolement. L'apparition d e nouveaux m o d e s d'expression comrre le cinéma est elle-même la conséquence d'une innovation technique.

Or, il est indéniable que ces moyens modernes aux mains de créateurs de talent peuvent engendrer une richesse inconnue jusque-là et ouvrir des horizons à des milliers de spectateurs. Aujourd'hui encore, les progrès techniques réalisés dans le domaine de la restauration des monuments anciens permettent d e les conserver e t d e les valoriser comme des témoignages essentiels de notre passé.

Et n'est-ce pas une condition importante du progrès humain que d'assurer à notre civilisation la connaissance de son histoire ? La crainte de la maladie elle-même, si elle demeure vive, a néanmoins reculé depuis u n e cinquantaine d'années et le progrès des techniques médicales suscite des espoirs fondés, y compris chez ceux qui sont atteints de maux très graves.

Voilà peut-être la principale vertu du progrès technique : il fait naître, au-delà des peurs souvent légitimes, des espoirs, des rêves qui ne sont pas forcément des illusions. Il n'est pas aujourd'hui chimérique de penser que l'homme sera un jour délivré de l'asservissement à des tâches monotones et rebutantes et qu'il pourra s'épanouir dans ses activités professionnelles comme dans ses loisirs.

Il aura peut-être plus de temps à consacrer à ce qu'il aime, grâce à ces machines quelquefois si décriées. Pour que le progrès technique puisse s'harmoniser avec le progrès moral, encore faut-il que l'être humain ait le sentiment de maîtriser le premier.

Si la technique lui échappe, s'il la voit en dehors de lui comme un péril menaçant, s'il se laisse déposséder de ces moyens nouveaux pour dominer la matière, l'espace et le temps, c'est lui qui sera en définitive dominé.

Dominé par la peur ancestrale de l'innovation.

Mais pour être maîtrisées les évolutions techniques doivent être connues et pas seulement des savants. Il est clair que le secret qui a entouré les premières expériences sur l'utilisation du nucléaire n'a pas servi à le populariser.

Il faut donc que, dans toute la mesure du possible, les innovations de cet ordre soient mises à la portée de tous par une information sérieuse. C'est d'ailleurs par un progrès significatif de la connaissance que le progrès technique peut entraîner une véritable avancée morale.

La liberté qu'elle suppose ne se conçoit pas, si elle a pour corollaire l'illusion et l'ignorance.

Pour que chacun puisse construire un univers personnel et progresser, il faut que nous nous sentions responsables des innovations de la civilisation technique et puissions en somme décider des directions qu'elle doit emprunter et des limites qu'il convient de lui donner. Jean Rostand proposait pour cela d e donner la parole à l'homme d e la rue sur les grands problèmes suscités d e nos jours par ces évolutions.

Mais il indiquait aussi qu'une culture scientifique et technique est indispensable au profane pour pouvoir participer à ce débat décisif. Le film de S.

Kubrick, 2001, l'Odyssée d e l'espace, fut un immense succès.

Peut-être parce qu'il révélait toute l'ambiguïté du progrès technique dans ses conséquences morales.

Il montrait dans une perspective futuriste des hommes rivalisant d'ingéniosité avec les robots de leur vaisseau spatial.

Cette parabole est à la fois inquiétante et rassurante : l'être humain doit garder le contrôle de sa technique s'il ne veut pas être asservi par elle.

Il y va aujourd'hui non seulement de son bonheur et de sa liberté mais peut-être de sa survie.. »

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