Denis DIDEROT. (Lettres à Sophie Volland, 14 octobre 1760)
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Denis DIDEROT. (Lettres à Sophie Volland, 14 octobre 1760)
[Diderot entretient depuis 1754 une correspondance assidue avec son amie Sophie Volland. Voici le début de la lettre qu'il lui adresse le 14 octobre 1760; il passe alors l'automne, séparé d'elle, dans la famille du baron d'Holbach, autre philosophe de ce siècle.]
Des pluies continuelles nous tiennent renfermés. Mme d'Holbach s'use la vue à broder ; Mme d'Aine1 digère, étalée sur des oreillers. Le père Hoop, les yeux à moitié fermés, la tête fichée sur ses deux épaules et les mains collées sur ses deux genoux, rêve, je crois, à la fin du monde. Le baron lit, enveloppé dans une robe de chambre et renfoncé dans un bonnet de nuit. Moi, je me promène en long et en large, machinalement... Je vais à la fenêtre voir le temps qu'il fait ; je vois que le ciel fond en eau, et je me désespère.
Est-il possible que j'aie déjà vécu près de quinze jours sans avoir entendu parler de vous ? Ne m'avez-vous point écrit ? ou Damilaville a-t-il oublié nos arrangements ? ou ce subalterne qui devait recevoir vos lettres à Charenton, me les apporter ici, et prendre les miennes, serait-il arrêté par le mauvais temps ?
C'est cela. Quand il s'agit d'accuser les dieux ou les hommes, c'est aux dieux que je donne la préférence. Il y a près de deux lieues d'ici à Charenton. Les chemins sont impraticables, et le ciel est si incertain qu'on ne peut s'éloigner pour une heure sans risquer d'être noyé.
Cependant je suis très maussade ; c'est Mme d'Aine qui me le dit à l'oreille. Les sujets de conversation qui m'intéresseraient le plus, si j'avais l'âme satisfaite, ne me touchent presque pas. Le baron a beau dire : « Allons donc, philosophe, réveillez-vous. » Je dors. Il ajoute inutilement : « Croyez-moi, amusez-vous ici, et soyez sûr qu'on s'amuse bien ailleurs sans vous. » Je n'en crois rien.
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