De La Rochefoucauld, Recueil des portraits et éloges « Autoportrait »
Extrait du document
«
François de La Rochefoucauld, Recueil des portraits et éloges, autoportrait.
Je suis d’une taille médiocre, libre et bien proportionnée.
J’ai le teint brun mais assez uni, le front élevé et d’une
raisonnable grandeur, les yeux noirs, petits et enfoncés, et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés.
Je serais fort
empêché à dire de quelle sorte j’ai le nez fait, car il n’est ni camus ni aquilin, ni gros, ni pointu, au moins à ce que je
crois.
Tout ce que je sais, c’est qu’il est plutôt grand que petit, et qu’il descend un peu trop bas.
J’ai la bouche
grande, et les lèvres assez rouges d’ordinaire, et ni bien ni mal taillées.
J’ai les dents blanches, et passablement bien
rangées.
On m’a dit autrefois que j’avais un peu trop de menton: je viens de me tâter et de me regarder dans le miroir
pour savoir ce qui en est, et je ne sais pas trop bien qu’en juger.
Pour le tour du visage, je l’ai ou carré ou en ovale;
lequel des deux, il me serait fort difficile de le dire.
J’ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais
et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête.
J’ai quelque chose de chagrin et de fier dans la mine ; cela fait
croire à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout.
J’ai l’action fort aisée, et même
un peu trop, et jusques à faire beaucoup de gestes en parlant.
Voilà naïvement comme je pense que je suis fait audehors, et l’on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi là-dessus n’est pas fort éloigné de ce qui en est.
J’en
userai avec la même fidélité dans ce qui me reste à faire de mon portrait ; car je me suis assez étudié pour me bien
connaître, et je ne manque ni d’assurance pour dire librement ce que je puis avoir de bonnes qualités, ni de sincérité
pour avouer franchement ce que j’ai de défauts.
François VI, duc de la Rochefoucauld (1613-1680) : écrivain, moraliste et mémorialiste français, surtout connu pour
ses Maximes (Réflexions ou sentences et maximes morales) > Œuvre plutôt pessimiste dans laquelle La
Rochefoucauld, imprégné par la doctrine de Port-Royal, dénonce les aspects négatifs de la nature humaine.
Extrait : autoportrait de l’auteur.
I- Autoportrait et peinture de soi
A- Un autoportrait bien organisé
• Grande présence de marques de 1e personne du singulier.
Cf.
16 « je » ; 10 « j’ » ; 1 « mon »…
« Je » qui désigne l’auteur => autoportrait, l’auteur se peint lui-même.
Cf.
« mon portrait ».
NB : La Rochefoucauld maîtrisait l’art des portraits et cela se voit dans cet extrait.
• Portrait qui commence par la « taille », puis le « teint ».
Ensuite évoque les différents aspects et donc détails de son visage : « le front » ; « les yeux » ; « les sourcils » ; « le
nez » ; « menton »…
• Dès qu’il évoque une partie de son visage, centre de plus en plus son approche.
Ex : « la bouche > les lèvres > les
dents »…
• Puis repart sur l’aspect plus global : « le tour du visage » > « les cheveux » > « la mine ».
Puis évoque son aspect extérieur, général : « gestes » et « action ».
=> Il s’agit d’un portrait bien organisé.
B- Les volontés du portraitiste
• Auteur qui tout en se peignant évoque la problématique du regard porté sur soi-même.
• Dans le 3e tiers du texte, rappelle qu’il s’agit de son propre portait.
Cf.
« Voilà naïvement comme je pense que je suis
fait au-dehors » > apparence physique ; « n’est pas fort éloigné de ce qui en est » > litote pour dire que ce portrait lui
est très ressemblant.
• Dans le passage allant de « Voilà naïvement » jusqu’à « j’ai de défauts », l’auteur évoque les questions soulevées par
la peinture sur soi, l’écriture sur soi, l’autoportrait.
Comme le fera plus tard Rousseau dans Les Confessions, La Rochefoucauld insiste sur la sincérité de son action :
- Auteur qui s’est étudié, qui a pris le temps de bien se connaître.
Cf.
« je me suis assez étudié pour me bien
connaître ».
-
« Voilà naïvement » > « naïvement » = sans truchement, s’est peint comme aurait pu le faire un enfant, sans
déguiser la vérité.
- Importance des verbes soulignant sa sincérité.
Cf.
« comme je pense que je suis fait au-dehors » ; « que ce que je
pense de moi là-dessus » ; « ni de sincérité »….
»
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