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Commentez cette opinion d'André Gide: Il me semble que les qualités que nous nous plaisons à appeler classiques sont surtout des qualités morales et volontiers je considère le classicisme comme un harmonieux faisceau de vertus dont la première est la modestie ?

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Ceci nous apparaît d'autant plus étonnant qu'au centre de ces vertus de créateur, Gide met la modestie; or il faut l'avouer, les classiques sont, en général, loin d'être modestes : à l'arrogance de Racine, méprisant Corneille, insultant ses maîtres de Port-Royal, frémissant d'orgueil à la moindre critique, répondent l'assurance de Molière après ses succès et le dogmatisme d'un Boileau, absolument certain de l'infaillibilité de ses principes. II. L'ordre et l'harmonie, vertus de tradition. Si le substantif « modestie » est un peu équivoque et oscille sans cesse entre le sens de « mesure » et celui d' « humilité », l'adjectif « harmonieux », qui souligne le caractère essentiel du « faisceau de vertus », fournit la clef du texte. 1. La notion d'harmonie morale implique en effet que la morale n'est pas innovation, mais reconnaissance d'un certain ordre. Le classique est donc moral et notamment modeste, non pas parce qu'il doute de son oeuvre, mais parce qu'il sent la littérature comme un art profondément rattaché à un certain ordre traditionnel; non pas, bien entendu, qu'il n'y ait plus rien à faire, mais il n'y a plus qu'à travailler au développement d'un certain nombre de valeurs bien reconnues. Tout se passe comme .dans un jeu où l'on se soumet à des règles et où l'on est forcément modeste, tout en étant fier si l'on vient à gagner : « Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle; quand on joue à la paume, c'est une même balle dont joue l'un et l'autre, mais l'un la place mieux. » (Pascal, Pensées, éd.

« Introduction. Alors que le mot « classique » implique de façon usuelle une certaine froideur, bien éloignée de l'élan qui nous semble propre à l'attitude morale, on a voulu voir parfois dans l'attitude du créateur classique, plus qu'une attitude esthétique et plus qu'une question d'École, une attitude devant la vie, bref une question de morale.

Un esthète néo-classique, un de ceux qui, après les effusions romantiques, les rêveries symbolistes, contribuèrent au renouveau littéraire du début du XXe siècle, André Gide, nous propose de définir les qualités classiques comme des qualités morales et il précise : « Je considère le classicisme comme un harmonieux faisceau de vertus dont la première est la modestie.

» Évidemment il désire nous étonner et, en un certain sens, il y parvient; pourtant les vertus d'harmonie et d'ordre, sur lesquelles il semble attirer notre attention, paraissent bien être de celles qu'on peut attribuer aux classiques et le mot n'a guère de signification que si l'on identifie la morale et l'esthétique. I.

La surprise. Sans être vraiment très surpris par son « demi-paradoxe », nous pouvons assez bien imaginer comment Gide veut nous étonner. 1 .

L'essence même de l'art classique est fort loin d'être morale : l'artiste dont tout l'esprit consiste à « bien définir et bien peindre » a le sentiment aigu de l'autonomie de l'art et se garde de jouer les politiques ou les prédicateurs; il laisse ce soin aux spécialistes et se veut*lui-même un spécialiste de la littérature.

S'il recommande, comme Boileau, de ne pas heurter la morale, il se gardera d'innover en ce domaine; il ne se croit pas porteur d'un message moral, il ne donne pas de conseils pour bien vivre, il n'écrit pas les Nourritures terrestres; bref, il se réfère à la morale existante, content de reconnaître un ordre qui n'est pas son affaire. 2.

Mais, dira-t-on, une des ambitions fondamentales de l'art classique est d'instruire : tous les classiques répètent à l'envie que leur but est d'être utiles; tout en croyant à l'autonomie de l'art, ils croient à son utilité profonde et « l'Art pour l'Art », la beauté pour la beauté, n'est pas leur fait.

Toutefois le paradoxe de Gide est de suggérer que la création classique n'est pas seulement une leçon de morale par son contenu, mais qu'elle implique de la part du créateur un effort moral au moment de la création. 3.

Ceci nous apparaît d'autant plus étonnant qu'au centre de ces vertus de créateur, Gide met la modestie; or il faut l'avouer, les classiques sont, en général, loin d'être modestes : à l'arrogance de Racine, méprisant Corneille, insultant ses maîtres de Port-Royal, frémissant d'orgueil à la moindre critique, répondent l'assurance de Molière après ses succès et le dogmatisme d'un Boileau, absolument certain de l'infaillibilité de ses principes. II.

L'ordre et l'harmonie, vertus de tradition. Si le substantif « modestie » est un peu équivoque et oscille sans cesse entre le sens de « mesure » et celui d' « humilité », l'adjectif « harmonieux », qui souligne le caractère essentiel du « faisceau de vertus », fournit la clef du texte. 1.

La notion d'harmonie morale implique en effet que la morale n'est pas innovation, mais reconnaissance d'un certain ordre.

Le classique est donc moral et notamment modeste, non pas parce qu'il doute de son œuvre, mais parce qu'il sent la littérature comme un art profondément rattaché à un certain ordre traditionnel; non pas, bien entendu, qu'il n'y ait plus rien à faire, mais il n'y a plus qu'à travailler au développement d'un certain nombre de valeurs bien reconnues.

Tout se passe comme .dans un jeu où l'on se soumet à des règles et où l'on est forcément modeste, tout en étant fier si l'on vient à gagner : « Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle; quand on joue à la paume, c'est une même balle dont joue l'un et l'autre, mais l'un la place mieux.

» (Pascal, Pensées, éd.

Brunschvicg, I, 22.) 2.

Dès lors, l'artiste ne peut guère être en opposition avec son époque et il ne saurait jouer les incompris et les grands solitaires.

Tel un joueur disputant une épreuve, il est à la fois limité et soutenu par des règles connues du public — au moins dans leurs grandes lignes — au nom desquelles on le juge.

En cas de contestation, il y a contestation sur l'application des règles, mais non sur leurs principes.

Ne nous laissons pas abuser, au surplus, par cette image des règles, car cet accord profondément modeste de l'écrivain avec son public porte sur le fond même de l'art et chacun prendrait facilement à son compte le mot de La Bruyère : « Je rends au public ce qu'il m'a prêté.

» Si le classique se refuse, par exemple, à choquer, s'il se conforme aux bienséances, ce n'est pas par académisme timoré, par goût d'une littérature édulcorée, c'est parce que l'on ne peut guère, littérairement parlant, bouleverser un accord dont vit la littérature : si l'on écrit des sonnets libertins, comme le fait Malherbe, on ne les publie pas, parce que la tradition s'y oppose. 3.

Mais cette attitude, à la fois critique et conformiste, qui unit public et auteur, se retrouve chez l'auteur luimême, seul en face de son œuvre : il se méfie, dit-on, de tout ce qui est spontané, inconscient, des mouvements profonds de la sensibilité, etc....

A vrai dire, il ne s'en méfie pas parce que c'est de lui, il n'a pas une haine a priori de son « moi » (quand Pascal écrit : « Le moi est haïssable », Pensées, VII, 455, « le mot moi — selon le commentaire de Port-Royal — ne signifie que l'amour-propre »); il se méfie de ce qui n'est pas conforme à ce fonds commun qui est la matière habituelle de la littérature.

De même, s'il est si exigeant à l'égard de lui-même, s'il se juge avec une critique impitoyable, ce n'est pas par une obsession maniaque à la manière de Flaubert (obsession qui le séparerait des autres écrivains), mais, bien au contraire, pour retrouver cet ordre auquel il se soumet modestement.. »

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