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Baudelaire, Bohémiens en voyage

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Baudelaire, Bohémiens en voyage La tribu prophétique aux prunelles ardentes Hier s'est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes. Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots où les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimères absentes. Du fond de son réduit sablonneux le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson ; Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures, Fait couler le rocher et fleurir le désert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L'empire familier des ténèbres futures.

« Les Fleurs du Mal : « Bohémiens en voyage » - Charles Baudelaire Introduction : Ce sonnet régulier, de forme italienne, est extrait du célèbre recueil de Baudelaire édité en 1857 : Les Fleurs du mal.

Treizième pièce du recueil, précédée de « la vie antérieure » et suivie de « l'homme et la mer », ces bohémiens en voyage s'inscrivent dans la section « Spleen et idéal » et participent de cette dualité toujours en tension chez Baudelaire.

Notons que Baudelaire s'est notamment inspiré d'une célèbre gravure de Jacques Callot qui inspira d'autres poètes avnt lui comme par exemple Aloysius Bertrand. Problématique : Comment dans ce poème, Baudelaire donne-t-il au récit d'un voyage anecdotique une portée symbolique ? I. Récit d'un voyage Dans ce poème, Baudelaire se fait conteur d'un voyage.

Pérégrination d'un peuple, d'une tribu bohémienne.

Or ce voyage est particulier à maints égards. 1.

temporalité Il s'agit d'un voyage inscrit dans la temporalité contemporaine du conteur : « hier » (v.

2) mis en évidence par la diérèse. Pourtant, avec la mention des « armes luisantes » au vers 5, celle d'un voyage à pied « vont à pieds », et celle des « chariots » au vers 6, se dessine une confusion entre deux temporalités : celle qui renverrait au voyage d'une tribu bohémienne du milieu du 19ème siècle, et celle au contraire qui renverrait à un passé historique, voire mythique.

Le peuple bohémien semble accomplir une marche intemporelle.

On note que la présence du « grillon » au vers 9 et l'adjectif « futures » associé aux « ténèbres » laisse penser que ce voyage s'accomplit de jour. 2.

espace Et en effet, ce voyage ne semble pas avoir de but : « Hier s'est mise en route » v.2.

Le voyage s'accomplit avec le ciel pour seul repère : « Promenant sur le ciel des yeux appesantis ».

Et finalement, ces étranges voyageurs ont l'air de marcher vers leur destinée : « Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert/ L'empire familier des ténèbres futures ».

L'espace qu'ils traversent apparaît comme en pleine transfiguration et donne à ce voyage un aspect mystique de régénération par cette expression oxymorique: « Fait couler le rocher et fleurir le désert » II. La tribu prophétique Si le voyage accomplit par les bohémiens est singulier, cette tribu décrite par Baudelaire ne l'est pas moins.

Elle apparaît comme un peuple d'élus. 1.

Animalité Tout d'abord, il faut signaler l'animalité, l'aspect grégaire des bohémiens.

En effet cela renvoie à une temporalité beaucoup plus lointaine de ce que semblait indiquer le déictique « hier ».

En effet, les femmes apparaissent comme des mères nourricières avec « Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes » v.4.

La bouche goulue des enfants est évoquée par les « fiers appétits » au pluriel du v.3.

La généralisation des femmes comme tribu prophétique de cette première strophe paraît singulière avec l'opposition singulier/pluriel qu'elle entraîne (ses petits/son dos) elle participe de cette animalisation.

L'emploi du terme de « mamelles » associé à celui de « pendantes » au vers 4 indique l'absence de considération esthétique de la part du poète : la femme est ici femelle.

Le terme « blottis » au vers 6 accentue cette sensation du lecteur. 2.

Peuple singulier Mais cette tribu apparaît comme une tribu élue.

En effet, les différents termes renvoyant au lexique du regard font signe.

Les « prunelles ardentes », « les yeux appesantis », font de ce peuple, un peuple de voyant.

Mais aussi un peuple élu, et ce par la présence d'éléments naturels bénéfiques.

Le grillon bien entendu mais aussi la déesse Cybèle, déesse de fécondité dont l'ascendance sur ce voyage se perçoit notamment tout au long du poème par l'alternance des sonorités [è]/[i].

La transfiguration du réel dont nous avant fait mention supra et l'ouverture de « l'empire familier des ténèbres futures » sont aussi symptomatiques de cette élection des bohémiens, peuple de voyant.

N'oublions pas les « chimères » du vers 8 qui même si elles sont absentes, leur sont associées.

On pourra ainsi songer à la chiromancie, pratiquée par les diseuses d'aventure et faisant des bohémiens une tribu singulière. III. Les bohémiens comme double du poète Ainsi, les bohémiens, de façon moins tragique que l'Albatros paraissent véritablement comme un double symbolique du poète. 1.

Les figures poétiques En effet, il s'agit d'une figure élue comme le poète.

Dans ce poème, le réel est transmuté par l'alchimie du verbe qui se fait créateur.

La nature apparaît complice de cette mutation grâce à la chanson du « grillon », lui aussi double du poète ( ?) et de la déesse : « le grillon (…) redouble sa chanson », « Cybèle (…) augmente ses verdures » : le processus de création est activé. 2.

Un voyage entre spleen et idéal Ce qui semble associer les bohémiens et poète, c'est la dichotomie essentielle entre spleen et idéale.

« Le ciel » au v.7 est le symbole de l'idéal chez Baudelaire : or ici il est perçu par « des yeux appesantis/ Par le morne regret des chimères absentes.

» Dès lors, ce peuple avide d'idéal se trouve confronté à une réalité du spleen, qui nécessite le pouvoir créateur du poète, de la nature, de la voyance pour activer une transfiguration du réel par le processus poétique. En conclusion, ce voyage apparaît comme une expérience mystique du néant existentiel, autre expérience du spleen, appelant à une régénération par la création poétique et soulignant encore l'aspect singulier du poète à qui il est donné de voir la profondeur même du néant : « l'empire familier des ténèbres futures ».. »

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