Balzac, Le Père Goriot :
Extrait du document
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Balzac, Le Père Goriot
Bientôt la veuve se montre, attifée de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux
cheveux mal mis; elle marche en traînassant ses pantoufles grimacées.
Sa face vieillotte,
grassouillette, du milieu de laquelle sort un nez à bec de perroquet; ses petites mains potelées,
sa personne dodue comme un rat d'église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en
harmonie avec cette salle où suinte le malheur, où s'est blottie la spéculation et dont madame
Vauquer respire l'air chaudement fétide sans en être écoeurée.
Sa figure fraîche comme une
première gelée d'automne, ses yeux ridés, dont l'expression passe du sourire prescrit aux
danseuses à l'amer renfrognement de l'escompteur, enfin toute sa personne explique la pension,
comme la pension implique sa personne.
Le bagne ne va pas sans l'argousin, vous n'imagineriez
pas l'un sans l'autre.
L'embonpoint blafard de cette petite femme est le produit de cette vie,
comme le typhus est la conséquence des exhalaisons d'un hôpital.
Son jupon de laine tricotée,
qui dépasse sa première jupe faite avec une vieille robe, et dont la ouate s'échappe par les fentes de l'étoffe lézardée,
résume le salon, la salle à manger, le jardinet, annonce la cuisine et fait pressentir les pensionnaires.
Quand elle est là,
ce spectacle est complet.
Âgée d'environ cinquante ans, madame Vauquer ressemble à toutes les femmes qui ont eu
des malheurs.
Elle a l'oeil vitreux, l'air innocent d'une entremetteuse qui va se gendarmer pour se faire payer plus cher,
mais d'ailleurs prête à tout pour adoucir son sort, à livrer Georges ou Pichegru, si Georges ou Pichegru étaient encore à
livrer.
Néanmoins, elle est bonne femme au fond, disent les pensionnaires, qui la croient sans fortune en l'entendant
geindre et tousser comme eux.
Qu'avait été monsieur Vauquer ? Elle ne s'expliquait jamais sur le défunt.
Comment
avait-il perdu sa fortune ? Dans les malheurs, répondait-elle.
Il s'était mal conduit envers elle, ne lui avait laissé que les
yeux pour pleurer, cette maison pour vivre, et le droit de ne compatir à aucune infortune, parce que, disait-elle, elle
avait souffert tout ce qu'il est possible de souffrir.
Contexte et éléments pour l’introduction
Balzac est un des romanciers majeurs du XIXè siècle – il a vécu dans la première moitié de celui-ci ; il est un des
grands représentants du réalisme en littérature, même si l’esthétique de son œuvre monumentale, la Comédie humaine,
dont le Père Goriot fait partie, ne peut se réduire à ce seul réalisme.
En effet, si Balzac entend, par son œuvre, « faire
concurrence à l’état-civil », c’est-à-dire proposer un panorama complet de la société dans tous ses milieux, tous ses
personnages et tous ses mécanismes, ce cycle monumental met en place de nombreuses esthétiques, y compris celle
du fantastique.
L’art romanesque de Balzac est donc complexe, en ce qu’il met en jeu de nombreux éléments
différents, et c’est par cette complexité qu’il faut l’aborder plutôt que par la seule étiquette de « roman réaliste ».
Le texte à commenter se situe au début du Père Goriot : les décors et personnages sont mis en place.
Plus
précisément, cet extrait suit de peu la description de la pension Vauquer où loge le père Goriot ; il est consacré à la
présentation et à la description de la tenancière de cette pension, Madame Vauquer.
Cette description se présente en
un seul bloc, c’est-à-dire que tous les thèmes qui y sont abordés – portrait physique, inscription du personnage dans
son environnement, histoire du personnage – sont étroitement entremêlés les uns aux autres et – c’est d’ailleurs une
des caractéristiques remarquables du texte, qu’il faudra mettre particulièrement en évidence – se répondent et se
correspondent entre eux, comme si les traits propres à l’environnement de Madame Vauquer conditionnaient ses traits
physiques.
La phrase « enfin toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne » peut à
ce titre servir de clé de lecture pour l’ensemble du texte, et permettre de mettre en évidence la singularité de
l’esthétique réaliste de Balzac.
A cette première clé de lecture devra s’ajouter une interrogation sur le statut du
passage, qui se présente comme une description d’ouverture : on pourra se demander à quel type d’écriture
romanesque se rattache cette description, et mettre en évidence le projet esthétique qui la sous-tend, en montrant le
fonctionnement très particulier du réalisme que Balzac met en œuvre.
Eléments pour le développement
NB : les éléments donnés ici ne sont volontairement pas composés en plan abouti pour un commentaire ; ils
ne font que mettre en lumière les éléments à commenter : il vous revient de hiérarchiser ces éléments en
fonction de votre propre lecture du texte.
I.
Un portrait de présentation de personnage
Le passage à commenter se situe au début du roman, et il faut montrer en quoi nous avons donc affaire à une
scène, ou plutôt à une description, d’exposition : commenter par exemple la première phrase du texte, « Enfin, la
veuve se montre » : le mot « enfin » vient clore une longue description, dont Madame Vauquer apparaît comme le
point final, celui auquel aboutit la description et qui en résume l’essence.
Le verbe « se montrer » produit une
impression théâtrale, comme si la veuve entrait soudain en scène.
On peut remarquer enfin que Balzac renonce à
nommer immédiatement à nommer Madame Vauquer, préférant l’appeler « la veuve », comme s’il la présentait d’abord
par son statut social et humain plus que par son nom.
Examiner ensuite la manière dont la description est organisée : celle-ci se fait essentiellement sur le mode de.
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