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Balzac, Le Cousin Pons, chapitre 57.

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Balzac, Le Cousin Pons, chapitre 57. Et le malade, animé par le désir d'éclaircir la scène affreuse qui lui semblait trop réelle pour être une vision, put gagner la porte de sa chambre, il l'ouvrit péniblement, et se trouva dans son salon, où la vue de ses chères toiles, de ses statues, de ses bronzes florentins, de ses porcelaines, le ranima. Le collectionneur, en robe de chambre, les jambes nues, la tête en feu, put faire le tour des deux rues qui se trouvaient tracées par les crédences et les armoires dont la rangée partageait le salon en deux parties. Au premier coup d'oeil du maître, il compta tout, et aperçut son musée au complet. Il allait rentrer, lorsque son regard fut attiré par un portrait de Greuze mis à la place du Chevalier de Malte, de Sébastien del Piombo. Le soupçon sillonna son intelligence comme un éclair zèbre un ciel orageux. Il regarda la place occupée par ses huit tableaux capitaux, et les trouva remplacés tous. Les yeux du pauvre homme furent tout à coup couverts d'un voile noir, il fut pris par une faiblesse, et tomba sur le parquet. Cet évanouissement fut si complet, que Pons resta là pendant deux heures, il fut trouvé par Schmucke, quand l'Allemand, réveillé, sortit de sa chambre pour venir voir son ami. Schmucke eut mille peines à relever le moribond et à le recoucher; mais quand il adressa la parole à ce quasi-cadavre, et qu'il reçut un regard glacé, des paroles vagues et bégayées, le pauvre Allemand, au lieu de perdre la tête, devint un héros d'amitié. Sous la pression du désespoir, cet homme-enfant eut de ces inspirations comme en ont les femmes aimantes ou les mères. Il fit chauffer des serviettes (il trouva des serviettes!), il sut en entortiller les mains de Pons, il lui en mit au creux de l'estomac; puis il prit ce front moite et froid entre ses mains, il y appela la vie avec une puissance de volonté digne d'Apollonius de Thyane. Il baisa son ami sur les yeux comme ces Marie que les grands sculpteurs italiens ont sculptées dans leurs bas-reliefs appelés Piéta, baisant le Christ. Ces efforts divins, cette effusion d'une vie dans une autre, cette oeuvre de mère et d'amante fut couronnée d'un plein succès. Au bout d'une demi-heure, Pons réchauffé reprit forme humaine: la couleur vitale revint aux yeux, la chaleur extérieure rappela le mouvement dans les organes, Schmucke fit boire à Pons de l'eau de mélisse mêlée à du vin, l'esprit de la vie s'infusa dans ce corps, l'intelligence rayonna de nouveau sur ce front naguère insensible comme une pierre. Pons comprit alors à quel saint dévouement, à quelle puissance d'amitié cette résurrection était due.

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