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Balzac, Le Colonel Chabert.

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Balzac, Le Colonel Chabert. - Tu n'es donc pas sourd, petit drôle ? dit Chabert en prenant le saute-ruisseau par l'oreille et la lui tortillant à la satisfaction des clercs, qui se mirent à rire et regardèrent le colonel avec la curieuse considération due à ce singulier personnage. Le comte Chabert était chez Derville, au moment où sa femme entra par la porte de l'Etude. - Dites donc, Boucard, il va se passer une singulière scène dans le cabinet du patron ! Voilà une femme qui peut aller les jours pairs chez le comte Ferraud et les jours impairs chez le comte Chabert. - Dans les années bissextiles, dit Godeschal, le compte y sera. - Taisez-vous donc ! messieurs, l'on peut entendre, dit sévèrement Boucard ; je n'ai jamais vu d'Etude où l'on plaisantât comme vous le faites, sur les clients. Derville avait consigné le colonel dans la chambre à coucher, quand la comtesse se présenta. - Madame, lui dit-il, ne sachant pas s'il vous serait agréable de voir monsieur le comte Chabert, je vous ai séparés. Si cependant vous désiriez... - Monsieur, c'est une attention dont je vous remercie. - J'ai préparé la minute d'un acte dont les conditions pourront être discutées par vous et par monsieur Chabert, séance tenante. J'irai alternativement de vous à lui, pour vous présenter, à l'un et à l'autre, vos raisons respectives. - Voyons, monsieur, dit la comtesse en laissant échapper un geste d'impatience. Derville lut. " Entre les soussignés, " Monsieur Hyacinthe, dit Chabert, comte, maréchal de camp et grand-officier de la Légion d'Honneur, demeurant à Paris, rue du Petit-Banquier, d'une part ; " Et la dame Rose Chapotel, épouse de monsieur le comte Chabert, ci-dessus nommée, née... " - Passez, dit-elle, laissons les préambules, arrivons aux conditions. - Madame, dit l'avoué, le préambule explique succinctement la position dans laquelle vous vous trouvez l'un et l'autre. Puis, par l'article premier, vous reconnaissez, en présence de trois témoins, qui sont deux notaires et le nourrisseur chez lequel a demeuré votre mari, auxquels j'ai confié sous le secret votre affaire, et qui garderont le plus profond silence ; vous reconnaissez, dis-je, que l'individu désigné dans les actes joints au sous-seing, mais dont l'état se trouve d'ailleurs établi par un acte de notoriété préparé chez Alexandre Crottat, votre notaire, est le comte Chabert, votre premier époux. Par l'article second, le comte Chabert, dans l'intérêt de votre bonheur, s'engage à ne faire usage de ses droits que dans les cas prévus par l'acte lui-même. - Et ces cas, dit Derville en faisant une sorte de parenthèse, ne sont autres que la non-exécution des clauses de cette convention secrète. De son côté, reprit-il, monsieur Chabert consent à poursuivre de gré à gré avec vous un jugement qui annulera son acte de décès et prononcera la dissolution de son mariage.

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