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Antoine HOUDAR DE LA MOTTE (1672-1731) (Recueil : Fables) - Le soc et l'épée

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Antoine HOUDAR DE LA MOTTE (1672-1731) (Recueil : Fables) - Le soc et l'épée Autrefois le soc et l'épée Se rencontrèrent dans les champs ; De sa noblesse, elle, tout occupée, Ne semblait pas apercevoir les gens. Le soc donne un salut, sans que l'autre le rende. Pourquoi, dit-il, cette fierté ? - L'ignores-tu ? belle demande ! Tu n'es qu'un roturier ; je suis de qualité. - Eh ! d'où prends-tu, dit-il, ta gentilhommerie ? Tu ne fais que du mal ; je ne fais que du bien : Mon travail et mon industrie De l'homme entretiennent la vie ; Toi, tu la lui ravis, bien souvent sur un rien. - Petit esprit, âme rampante, Dit l'épée ; est-ce ainsi que pensent les grands coeurs ? - Oui, répondit le soc ; on a vu des vainqueurs Remettre à la charrue une main triomphante : Témoins les Romains, nos seigneurs. - Mais sans moi, dit la demoiselle, Ces Romains eussent-ils subjugué l'univers ? Rome n'était qu'un bourg ; on n'eût point parlé d'elle, Si mon pouvoir n'eût mis le monde dans ses fers. - Tant pis ; elle eût mieux fait de se tenir tranquille, Répondit maître Soc ; belle nécessité Que l'univers devint l'esclave d'une ville ! Que de sa vaste cruauté Elle effrayât l'Europe, et l'Afrique, et l'Asie ! Eh ! pourquoi, s'il vous plaît ? à quelle utilité ? Pour une ambition que rien ne rassasie, Trouves-tu donc cela digne d'être vanté ? L'épée, au bout de sa logique, Appelle enfin maître Soc en duel. Te voilà ; battons-nous. C'est tout ton rituel, Dit le soc ; quant à moi, ce n'est pas ma pratique : Je travaille et ne me bats point. Mais un tiers entre nous pourrait vider ce point : Prenons la taupe pour arbitre ; Comme Thémis elle est sans yeux, L'air grave et robe noire ; on ne peut choisir mieux. Chacun au juge expose alors son titre. La nouvelle Thémis les entend de son trou, Et, le tout bien compris, prononce cet adage : Qui forgea le soc était sage, Et qui fit l'épée était fou.

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