Antoine de Saint-Exupéry
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Antoine de Saint-Exupéry
Parce qu'il est né dans une famille catholique, aristocratique et provinciale ; parce qu'il était aviateur et que la solidarité de l'équipage fut
pour toujours pour lui le modèle des liens qui peuvent exister entre les hommes ; parce que son oeuvre ne nous propose guère que des
exemples de courage, d'honneur et de fidélité ; parce que le Petit Prince fait la joie de tous les instituteurs du monde...; parce qu'il est
mort "en plein ciel de gloire", à quarante-quatre ans...
Antoine de Saint-Exupéry est devenu le prisonnier de sa légende.
Saint-Exupéry est né à Lyon.
Son père mort dès 1904, le petit Tonio est élevé par sa mère, entre ses trois soeurs et son frère François.
Études décousues, médiocres, chez les jésuites du Mans, puis à Montgré, enfin chez des maristes suisses.
Vers l'âge de dix-huit ans, il
abandonne la pratique des sacrements sans qu'on puisse être sûr qu'il ait vraiment perdu la foi.
En 1919, il échoue au concours de l'École
Navale, s'inscrit aux Beaux-Arts, puis fait son service militaire : expérience qui serait totalement déprimante s'il n'avait appris à piloter (ne
comptant pas plus d'une heure vingt d'entraînement, il s'empare d'un avion, décolle et revient au sol avec des flammes entre les jambes,
si bien que le commandant Garde l'admet à piloter avec ce commentaire : "Vous, vous ne vous tuerez jamais en avion, sinon ce serait
déjà fait !")
Rendu à la vie civile, il voit défiler les années noires : employé de bureau (Tuileries de Boiron, Paris), ouvrier (aux usines Saurer),
représentant de commerce (il vend "un" camion en un an)...
En octobre 1926 il rencontre Didier Daurat, qui, après un premier accueil
assez froid, l'engage chez Latécoère (Saint-Exupéry, pour le convaincre, a multiplié les exercices acrobatiques ; revenu au sol, ce fut pour
s'entendre dire : "Ici, nous n'avons pas besoin d'acrobates !") Comme le Rivière de Vol de Nuit, le rigoureux Daurat aimait les hommes,
"mais sans le leur dire".
Chef d'aéroplace à Cap-Juby, au milieu du désert du Rio-de-Oro, Saint-Exupéry emporte les livres de Nietzsche ; il écrit alors à son amie
Renée de Saussine : "J'aime ce type immensément.
Et cette solitude.
Je m'allongerai dans le sable à Cap-Juby et je lirai Nietzsche.
Il y a
des choses que j'adore, mon coeur où se consume mon été, cet été si court, chaud, mélancolique et bienheureux...
Je voudrais que vous
partagiez aussi cette passion." Grâce à l'avion cet outil symbolique qui doit servir à "fonder des liens neufs entre les hommes" grâce au
désert, il a trouvé un sens à sa vie.
La solidarité d'un équipage perdu au-dessus de l'Atlantique, celle d'un petit poste oublié dans le bled
lui ont appris qu' "il n'y a qu'un seul luxe : celui des relations humaines".
Dès qu'ils se réunissent autour d'une table, "six ou sept hommes qui ne possèdent plus rien au monde, sinon leurs souvenirs", se
partagent d'invisibles richesses.
"Alors...
on découvre que l'on appartient à la même communauté...
On se regarde avec un grand sourire.
On est semblable à ce prisonnier délivré qui s'émerveille de l'immensité de la mer."
Courrier sud (1928), puis Vol de Nuit (1931) honoré d'une éclatante préface de Gide (et d'un Prix Fémina) mettent le jeune écrivain au
premier rang.
Il quitte l'Aéropostale.
Journaliste, reporter (en 1934, à Moscou ; en 1937, auprès des républicains d'Espagne) ou
conférencier ambulant, l'auteur de Terre des Hommes (1939) ne se console pas d'avoir échappé à la servitude exaltante de la ligne.
Il
tente de la retrouver, au cours de raids dangereux, insuffisamment préparés, qui tournent parfois à la catastrophe (Tour de Méditerranée,
1935 ; raid Paris-Saigon, interrompu dans le désert égyptien ; Tour d'Afrique, 1937 ; New York-Terre de Feu, soldé par un terrible accident
au Guatemala, 1938).
Entre-temps, il s'est marié avec une journaliste sud-américaine et vit à Paris, comme un seigneur d'autrefois,
fastueux et couvert de dettes.
La guerre le rattache à ses frères d'aventure mais c'est une guerre triste, plutôt que "drôle", où l'on voit s'avancer la défaite, née d'une
énorme démission collective.
Saint-Exupéry, malgré "6 500 heures de vol sous tous les ciels du monde", n'obtient qu'à grand-peine le
droit d'être "pilote de guerre".
Après la débâcle, viendront Lettre à un otage et le Petit Prince (1943), écrits aux États-Unis.
De retour à
Alger (où, tenu éloigné du combat, il se ronge et rédige Citadelle), Saint-Exupéry arrache par faveur huit missions à accomplir sur
Lightning P-38 : la dernière (le 31 juillet 1944) lui sera fatale...
Il faudra la publication posthume de Citadelle (1945), pour que nous découvrions le penseur et le philosophe.
Celui-là enseigne la
suprématie du chef et de la vie collective sur les solitudes individuelles ; la transcendance d'un Dieu qui ne consent pas à s'incarner.
"Ce
que tu fondes, en fin de compte, c'est ce vers quoi tu vas...
Abandonne, renonce, souffre, lutte, franchis les déserts de la soif, refuse les
fontaines, et je te conduirai à l'épanouissement de toi-même...
l'individu n'est qu'une route...
L'arbre, c'est cette puissance qui lentement
épouse le ciel.
Ainsi de toi, mon petit homme...
Tu es celui qui s'accomplit...
Mais n'espère rien de l'homme s'il travaille pour sa propre vie
et non pour son éternité." Ces formules grandioses et vagues appellent un humanisme fondé sur l'effort, le sacrifice et l'enracinement,
que couronne la recherche d'un Dieu silencieux et désincarné.
D'où cette prière : "Seigneur, rattachez-moi à l'arbre dont je suis.
Je n'ai
plus de sens si je suis seul...
Je suis ici défait et provisoire.
J'ai besoin d'être."
Deux traits devraient assurer la survie de Saint-Exupéry : la densité de son message et l'universalité de son art.
L'auteur de Citadelle
n'était pas un "intellectuel" au sens classique du terme, mais il avait une pensée méditée, un langage non pas "appris" à l'école mais
"forgé" par l'expérience.
Bien avant l'existentialisme, il écrit, dès 1938 : "La vérité, pour l'homme, c'est ce qui fait de lui un homme." Pour
lui, le courage supplée la foi : "Celui qui aura une fois monté la garde pour protéger un peuple de petites nonnes agenouillées,
épouvantées, dans les monastères d'Espagne, celui-là mourra pour l'Église d'Espagne." Car l'action engage et fonde l'être.
Pour "être", il
faut "participer".
La faute essentielle de notre civilisation est d'avoir déraciné les hommes et juxtaposé leurs solitudes sans leur offrir une
cause digne de leur sacrifice.
D'où ce cri : "Je hais mon époque de toutes mes forces ! L'homme y meurt de soif." Dans chaque prolétaire
meurt peut-être un "Mozart assassiné" ; bref, nous avons "dilapidé l'héritage".
Sur le "culte de l'Universel", Saint-Exupéry a cherché à fonder le "seul Ordre véritable : celui de la Vie".
On peut sourire de ces majuscules.
Mais elles expliquent aussi l'audience croissante de l'oeuvre auprès des jeunes de tous les pays du Japon à l'U.R.S.S.
Au milieu d'une
littérature introspective et mandarinale, il aura été le premier à proposer une littérature "prospective", où l'Esprit ne se déduit plus du ciel
inaccessible des Principes, mais se découvre à l'épreuve de l'action, au niveau de l'outil et du métier.
Dédaigné par notre intelligentzia,
l'auteur de Citadelle et de Un Sens à la Vie pourrait bien être le maillon d'une chaîne qui part de Nietzsche et du premier Gide pour aboutir
à Teilhard de Chardin : poète de l'Élan vital bergsonien, il annonce à sa manière, par-delà l'"Absurdité" de son siècle, l'unification du
Cosmos..
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