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Anatole LE BRAZ (1859-1926) (Recueil : Poèmes votifs) - Thrène

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Anatole LE BRAZ (1859-1926) (Recueil : Poèmes votifs) - Thrène C'est un soir d'octobre, à Beg-Meil. Par les marches de l'étendue, Rouges encor d'un sang vermeil, La nuit pieuse est descendue Pour ensevelir le soleil. De ses mains ferventes et pures, Elle a couché l'astre vital Dans les somptueuses guipures Du grand linceul occidental, Et voici qu'au gouffre atlantique Où le mort splendide a sombré L'Océan roule son cantique, Son immense Dies irae. Les étoiles, une par une, Piquent leurs cierges dans le ciel Et, blanche Antigone, la lune S'incline au tombeau fraternel. Sur sa tristesse sidérale Flottent, en crêpes d'argent clair, Des pans de brume d'où s'exhale Comme un goût de larmes dans l'air... *** O lune, immortelle pleureuse, A ton deuil cosmique, ce soir, Permets qu'une âme douloureuse Mêle son humble désespoir. Laisse-moi croire, pour une heure, Que tu l'as peut-être entendu, Mon cri d'atome humain qui pleure L'être unique à jamais perdu. Que de fois, que de fois, ô lune, Nous avons, Elle et moi, peureux, En ce même repli de dune, Tremblé du crime d'être heureux ! Que de fois, sur ces mêmes sables, Nous avons frissonné soudain De sentir nos coeurs périssables Frôlés par l'aile du destin ! Alors vers toi notre prière Montait ; et ton regard en nous Distillait, avec sa lumière, Son dictame apaisant et doux. *** O lune qui nous fus amie En ces temps, hélas ! révolus, La vie en qui j'avais ma vie, Celle qui m'était tout n'est plus. Coeur solitaire, corps sans âme, Réduit à regretter sans fin Ce qu'une tendresse de femme Peut contenir de plus divin, Je viens m'enivrer de ma peine, Aux lieux qu'entre tous Elle élut, Et leur offrir ma plainte vaine Comme un tiste et dernier salut. *** A Beg-Meil, par un soir d'automne, Fut composé ce thrène amer Le long de la grève bretonne Où, de Vorlenn à Toul-ar-Stêr, Sonne le sanglot de la mer.

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