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Anatole LE BRAZ (1859-1926) (Recueil : Poèmes votifs) - Le Pâtre de la nuit

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Anatole LE BRAZ (1859-1926) (Recueil : Poèmes votifs) - Le Pâtre de la nuit De qui surveillait-il les troupeaux ? On ne sait. Mais, chaque soir, à l'heure où le soleil baissait, Sur le Roc-Trévézel on le voyait paraître, Debout, dans l'attitude immobile d'un prêtre En oraison devant l'Esprit de ce haut-lieu... Le couchant s'éteignait dans le firmament bleu Et les ombres des monts, en nappes déroulées Du front chauve des cairns au sein vert des vallées, S'épandaient comme un fleuve aux larges eaux, sans bruit Que buvait cette mer de ténèbres - la nuit. *** Alors, tandis qu'épars sur les gazons des pentes Erraient les boucs lascifs et les chèvres grimpantes, Lui, l'homme, il entonnait, pour se sentir moins seul, Quelque chant qu'un aïeul apprit à son aïeul. L'air en était si pur, si fervent et si tendre Que les tourbiers du Yeun s'attardaient à l'entendre, Heureux de respirer dans l'espace muet Le peu de songe humain qu'il y perpétuait. *** Or, un soir, la complainte à peine commencée Suspendit tout d'un coup son vol, l'aile cassée Un silence panique enveloppa les cieux ; Ressaisis par la peur primitive, anxieux De cet abîme noir, sans vie et sans haleine, Ce fut en vain que les chemineurs de la plaine Réclamèrent aux monts les accents du chanteur. Il se tenait toujours debout sur la hauteur, Mais l'âme indifférente aux êtres comme aux choses. Et sa voix gisait morte entre ses lèvres closes. *** On raconta plus tard que, rêveur éveillé, La nuit, ô pâtre élu, t'avait émerveillé En laissant à tes yeux choir ses ultimes voiles... Tu fus celui qui, le premier, vit les étoiles Décrocher des arceaux du ciel leurs lampes d'or Et dans l'éther béant monter, monter encor, Sans fin, - tel un cortège innombrable de vierges Allant à quelque autel d'en-haut vouer leurs cierges Par delà des azurs insoupçonnés d'en bas. Une immense harmonie accompagnait leurs pas, Selon les lois d'un rythme inconnu de la terre... Ainsi te fut, dit-on, révélé le mystère Dont nul autre avant toi n'avait été troublé : Le vide universel s'était soudain peuplé, Les mondes en chantant traversaient l'étendue. Et, devant leur chanson, la tienne s'était tue.

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