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Alfred Jarry

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Bien que la poésie ait connu des aventures extraordinaires depuis cent ans, c'est une entreprise surprenante qu'un poète se cacher derrière un personnage monstrueux et comique. Armé du croc à phynance et le mot à la bouche, le père Ubu a d'abord conquis la gloire au détriment de son créateur. Il l'a écrasé sous sa grosse ombre jusqu'à ne plus laisser apparaître qu'un individu saugrenu et impénétrable. Mais la mystification qui avait trop bien réussi auprès des contemporains a fini par céder sous un regard plus curieux et l'on commence à prendre la mesure du drame fulgurant qu'a vécu Alfred Jarry et dont il a témoigné dans une oeuvre secrète et magnifique. Jarry a conservé toute sa vie la nostalgie de certaines heures de son enfance où le désir était comblé. Comme l'adolescent Rimbaud dans ses randonnées, "sur les routes de Sainte-Anne", le rêve se mêlait à l'imprévisible apparition des pierres et des bêtes pour lui constituer un violent royaume. Le drame a commencé dès que le monde s'est imposé à lui comme résistance. Contre l'autorité des professeurs et pour s'en délivrer, Jarry a participé avec ses camarades à la formation de mythes comiques. Et sans doute, ce premier Ubu n'était que la figuration d'un ennemi extérieur à soi ; défendu par la plaisanterie, on conserve le droit de rêver. Mais l'expérience de la vie devait bientôt signifier à Jarry que, plus gravement que la résistance du monde, l'homme constituait lui-même un obstacle à son possible pouvoir : A tenter de réaliser tous ses désirs, il ne peut que tendre à devenir un être ignoble : M. Ubu précisément. Le poète toujours nie "notre inhabileté fatale" ; la laideur de la réalité le comble de douleur. Baudelaire et Lautréamont déjà avaient été fascinés par la dégradation de l'homme ; dans leur oeuvre, une profonde raillerie contribue au tragique. Non moins acharné à affirmer un pouvoir exorbitant, Jarry était encore un génie comique. Cette richesse inhabituelle trompe. Le génie comique masque l'entreprise du poète révolté. Et pourtant, quand il donne à rire de l'énorme caricature, Jarry oublie si peu une volonté de dépassement de l'homme que c'est dans le rôle d'Ubu, à la fin, qu'il maintiendra son intime protestation contre le destin… Mais il n'en est venu là qu'après d'autres tentatives.

« A lfred Jarry Bien que la poésie ait connu des aventures extraordinaires depuis cent ans, c'est une entreprise surprenante qu'un poète se cacher derrière un personnage monstrueux et comique. A rmé du croc à phynance et le mot à la bouche, le père Ubu a d'abord conquis la gloire au détriment de son créateur.

Il l'a écrasé sous sa grosse ombre jusqu'à ne plus laisser apparaître qu'un individu saugrenu et impénétrable.

M ais la mystification qui avait trop bien réussi auprès des contemporains a fini par céder sous un regard plus curieux et l'on commence à prendre la mesure du drame fulgurant qu'a vécu A lfred Jarry et dont il a témoigné dans une oeuvre secrète et magnifique. Jarry a conservé toute sa vie la nostalgie de certaines heures de son enfance où le désir était comblé.

C omme l'adolescent Rimbaud dans ses randonnées, "sur les routes de Sainte-A nne", le rêve se mêlait à l'imprévisible apparition des pierres et des bêtes pour lui constituer un violent royaume. Le drame a commencé dès que le monde s'est imposé à lui comme résistance.

C ontre l'autorité des professeurs et pour s'en délivrer, Jarry a participé avec ses camarades à la formation de mythes comiques.

Et sans doute, ce premier Ubu n'était que la figuration d'un ennemi extérieur à soi ; défendu par la plaisanterie, on conserve le droit de rêver. M ais l'expérience de la vie devait bientôt signifier à Jarry que, plus gravement que la résistance du monde, l'homme constituait lui-même un obstacle à son possible pouvoir : A tenter de réaliser tous ses désirs, il ne peut que tendre à devenir un être ignoble : M.

Ubu précisément. Le poète toujours nie "notre inhabileté fatale" ; la laideur de la réalité le comble de douleur.

Baudelaire et Lautréamont déjà avaient été fascinés par la dégradation de l'homme ; dans leur oeuvre, une profonde raillerie contribue au tragique.

Non moins acharné à affirmer un pouvoir exorbitant, Jarry était encore un génie comique.

C ette richesse inhabituelle trompe.

Le génie comique masque l'entreprise du poète révolté.

Et pourtant, quand il donne à rire de l'énorme caricature, Jarry oublie si peu une volonté de dépassement de l'homme que c'est dans le rôle d'Ubu, à la fin, qu'il maintiendra son intime protestation contre le destin… M ais il n'en est venu là qu'après d'autres tentatives. Jarry avait la sensibilité la plus vive avec un courage égal.

A mesure que le malheur s'appesantit, son ambition s'exalte.

Trop lucide pour ne pas constater l'échec, trop orgueilleux pour le reconnaître, il s'efforcera par tous les moyens de déjouer l'inacceptable. S'il n'a pas pris au sérieux le symbolisme des épigones, il a trouvé dans la pensée hermétique de son temps une conception susceptible de l'aider dans son désir de s'accomplir au-delà du poids qui l'entraîne.

Dans une perspective immanentiste et dialectique, l'homme et Dieu sont des avatars de l'unique "Energie Universelle", cette "éternelle énergie vivante et puissante à travers les mondes" dont il avait éprouvé l'harmonie violente lors des promenades de son enfance. Rival de Dieu et son égal, parce que son contraire, son héros peut, à bon droit, s'affirmer "C ésar", "sinon des hommes qu'il méprise, mais de l'univers et de l'absolu".

Si Jarry n'adhère à la conception hermétique qu'en la bouillonnant, c'est avec le plus authentique orgueil qu'il annonce "tu participeras vivant à l'éternité, tu entreverras la pensée se mouvoir et le travail de la création en moi et par moi incessamment renouvelé".

Jarry parlait pour son compte. Semblable à Rimbaud, il a tenté de devenir comme un dieu "dans une âme et un corps". P our s'évader d'un monde absurde et cruel, le rêve est le grand recours.

Mais, en vérité, le "déserteur" Sengle (des Jours et les Puits) recherche beaucoup plus qu'une évasion.

S'il tente de rendre présent par l'imagination V alens son ami qui est au loin, ce n'est pas tant "pour communier avec un autre être" que pour retrouver à la faveur de V alens revivifié son propre passé qui se conserve dans le coeur de V alens.

Il ne s'agit pas seulement de "retrouver le temps perdu", mais, comme pour P roust, par une hallucination du présent par le passé, de dépasser le temps et de "vivre authentiquement un moment d'éternité". Le malheur est qu'à l'instant où il réussit à embrasser son double, Sengle devient fou. Et dans L'A mour absolu aussi, l'expérience échoue.

Emmanuel Dieu n'a su transformer qu'un instant la médiocre V aria en M iriam, foyer de l'amour absolu. A ussitôt réveillée, V aria réapparaît et "elle revoie Miriam à Dieu", le privant de son passé divin.

Le héros n'aura pu faire bénéficier la femme que de "quelques mètres cubes d'éternité".

En fin de compte, "la création du désir" d'un "homme dans le genre de Dieu" n'est que son "droit au mensonge".

C 'est reconnaître que la tentative pour "changer la vie" ne saurait aboutir.

Le pouvoir de l'imagination achoppe au moment de l'incarnation. En face de son échec, on pourrait penser que Jarry, abandonnant la partie, s'est limité désormais à une forme supérieure d'évasion.

Depuis toujours, il avait inventé "la science des solutions imaginaires".

M.

Ubu est présenté comme docteur en pataphysique.

Mais le vrai pataphysicien n'est pas Ubu, seulement intéressé à s'accomplir dans ses instincts les plus bas, c'est le docteur Faustroll.

Q ue la vie soit insupportable et humiliante, celui-ci peut n'y pas prendre garde, puisqu'il crée "des univers supplémentaires" à celui-ci.

C onfiant dans le pouvoir de l'esprit, du moins quand il se développe en dehors du réel, Jarry parodie l'absurdité du monde par une absurdité inventée, ainsi bouffonne-t-il le monde, mystifie la pensée et reste maître du jeu. M ais la pataphysique n'est pas seulement un grand divertissement littéraire.

Jarry a entendu en faire une solution quotidienne de sa vie.

Et comme il était misérable, le feu d'artifice d'excentricités par lequel il s'est opposé au poids inexorable de la vie prend une allure héroïque. Le paradoxe c'est qu'il ait entendu nier le destin en jouant le rôle du Père Ubu qui est l'image même de l'échec et tout le contraire d'un ascète.

C 'était pour brouiller son jeu.

C omme il se conduisait de façon extravagante, personne n'y regardait de très près et l'on imputait à Ubu ce qui était l'effet de l'héroïsme secret de Jarry. Il semble toutefois qu'en se faisant appeler le P ère Ubu, Jarry poursuivait encore un autre dessein.

C omme Ubu se fait esclave pour devenir libre, n'aurait-il pas feint de se faire, lui, l'esclave d'Ubu pour enfreindre la condition commune ? Il est un autre moyen d'échapper à la réalité que de s'évader dans de merveilleux royaumes, c'est d'aggraver son cas.

C omme dans les Jours, Sengle en prison se racontait des histoires de prison pour être "plus libre, la parole chassant au-dehors les verrous", Jarry mime le rôle du personnage qu'il redoute à l'extrême limite de la férocité et de la veulerie jusqu'à être assuré qu'il n'est pas tel, lui, mais différent et supérieur. Et, dans le même temps, il dresse en face de toutes les bonnes consciences un miroir de l'homme agressivement révélateur.

Et encore, il conteste Dieu. Il est douteux que la pensée immanentiste ait délivré Jarry de la personne du C réateur.

Jarry du moins intervertit les rôles : c'est lui qui juge. A insi, après l'échec métaphysique, non seulement il affirme un pouvoir de l'esprit de nier le destin par l'invention d'univers de substitution jusque dans sa vie, mais encore il assume la belle création de Dieu, l'homme-Ubu notre échec, le tend à Dieu pour lui en faire honte et s'esquive, libre… Le rire a pris une dimension métaphysique et derrière ce rire incomparable, Jarry cache son orgueil invaincu, sa victoire.. »

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