Alfred de VIGNY (Recueil : Poèmes antiques et modernes) - Moïse
Extrait du document
«
INTRODUCTION :
Ce texte est un épanchement indirect, dramatisé.
Par l'intermédiaire de Moïse, personnage fictif qu'il met en scène, Vigny
exprime, en effet, ce qu'il pense personnellement de la destinée et des sentiments des hommes supérieurs que leur génie et
leur mission vouent à l'incompréhension et à la solitude, idée qu'il reprendra dans ses trois principaux romans pour le Noble
(Cinq-Mars), pour le Poète (Stello) et pour le Soldat (Servitude et grandeur militaires), ainsi que dans sa pièce Chatterton.
I.
— Tonalité et inspiration :
Vigny essaye de faire revivre une atmosphère biblique.
Homme de Dieu, Moïse lui parle « face à face » et « debout ».
Avec la
plus grande sincérité, il exprime sa lassitude : il est désabusé, impatient, presque excédé (importance de donc).
Il n'a plus
qu'un vœu : disparaître, et il conjure son maître de désigner un autre guide du peuple juif.
Etant donné la situation où Vigny place son personnage, la vigueur des sentiments et de l'expression qu'il lui prête en
présence de Dieu, le poète projette sur ce passage une optique d'épopée.
Vigny a précisément baptisé « Poèmes » ces
sortes de messages symboliques traités sous une forme à la fois épique et dramatique, et il est l'inventeur du genre.
Moïse
est présenté comme un « héros » au destin hors de pair, non seulement parce que ce héros a reçu une mission divine, mais
parce que, seul, parmi les hommes, il a le droit de parler à Dieu sur ce ton.
II.
— Art du poète:
Vigny a réussi à équilibrer deux aspects opposés :
— donner à son personnage une humanité profonde, en étudiant son état d'âme,
— faire revivre une atmosphère exceptionnelle.
A) Etude d'un état d'âme.
a) On remarquera les interrogations successives des vers 3, 4, 5 et 7 exprimant à la fois l'étonnement et l'impatience de
l'homme qui a mesuré plutôt le caractère pénible et insupportable de sa destinée que la grandeur et la noblesse de sa
mission.
b) Cet état d'esprit, est confirmé par les mots encor (v.
4) donc (vers 5-17), un autre (v.
10) où la lassitude se nuance
presque de ressentiment et même d'indifférence à l'égard du peuple dont Moïse a été l'élu.
Vigny s'est appliqué à donner à son personnage des sentiments qui conviennent à un homme comme les autres, qui céderait
volontiers sa place à un successeur, parce que son destin lui paraît injuste.
c) Cette exaspération, si vive et si obstinée qu'elle paraisse, n'est cependant pas le fait d'un caractère rude et égoïste.
Elle
est présentée comme étant, au contraire, l'expression d'une sensibilité très vive, qui voudrait pouvoir compter sur une amitié,
une présence humaine dont la chaleur serait une consolation.
Cette idée sera exprimée par la suite, au cours du poème :
« J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir », mais elle est déjà suggérée par l'adjectif solitaire du vers 5, qui sera répété
plusieurs fois à la rime, donc à une place de choix, aux vers 69, 89 et 105 du poème et qui se coordonne à l'adjectif puissant,
parce que Vigny prétend ne pas séparer la puissance de la solitude.
B) Une atmosphère exceptionnelle.
Elle est créée par les deux premiers vers et la place de debout au début de la phrase.
Le vers 2, par les mots « nuage obscur
», suggère une scène extraordinaire.
Vigny a voulu faire revivre une page de la Bible, évoquer une sorte de dialogue à une
voix — car Dieu est présent mais invisible — auquel les autres hommes n'ont pas assisté.
Utilisant des expressions bibliques :
élu, terre promise, coursier d'Israël, livre, verge d'airain, Vigny nous transporte par l'imagination aux époques lointaines et
héroïques où un « homme de Dieu > pouvait avoir le privilège de le voir, de lui parler, de recevoir de lui des ordres ou des
récompenses.
Et ainsi, au plan humain qui peignait un état d'âme, se superpose un plan surnaturel.
CONCLUSION :
L'auteur — en situation — qui s'exprime.
a) Tout « poème » de Vigny se présentant à la fois comme un cadre (voir le début du poème), comme un dialogue, (Vigny
était aussi attiré par le théâtre) et comme un symbole (pour Vigny, la poésie est inséparable de la pensée), ce sont ces deux
derniers aspects qu'illustre le fragment à commenter.
b) La thèse exprimée par Moïse n'est peut être pas très conforme à ce que la Bible nous apprend de lui, — les Parnassiens le
reprocheront à Vigny —, mais elle illustre une idée toute romantique qui lui était chère : la solitude est la rançon du génie.
Il
la reprendra souvent dans son œuvre.
c) Elle correspond, d'ailleurs, à la personnalité de Vigny, qui, dès l'enfance nourri par la Bible, a pu trouver, dans cette
interprétation de Moïse, une vision qui s'adaptait à lui-même.
A la fois timide et sensible, se croyant investi d'une mission,
mais voué à l'incompréhension, déçu, meurtri, il renonce à la vie active en 1837 pour aller vivre dans la solitude studieuse du
Maine-Giraud, dans les Charentes-Maritimes..
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