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Alfred de VIGNY (1797-1863) (Recueil : Poèmes antiques et modernes) - Moïse

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Alfred de VIGNY (1797-1863) (Recueil : Poèmes antiques et modernes) - Moïse ... Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place, Dans le nuage obscur lui parlait face à face. Il disait au Seigneur : " Ne finirai-je pas ? Où voulez-vous encor que je porte mes pas ? Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ? Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ? J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu. Voilà que son pied touche à la terre promise. De vous à lui qu'un autre accepte l'entremise, Au coursier d'Israël qu'il attache le frein ; Je lui lègue mon livre et la verge d'airain. " Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances, Ne pas me laisser homme avec mes ignorances, Puisque du mont Horeb jusques au mont Nébo Je n'ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau ? Hélas ! vous m'avez fait sage parmi les sages ! Mon doigt du peuple errant a guidé les passages J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois ; L'avenir à genoux adorera mes lois ; Des tombes des humains j'ouvre la plus antique, La mort trouve à ma voix une voix prophétique, Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations, Ma main fait et défait les générations. Hélas ! je suis, Seigneur, puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre !... ... " Sitôt que votre souffle a rempli le berger, Les hommes se sont dit : " Il nous est étranger " ; Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flamme, Car ils venaient, hélas ! d'y voir plus que mon âme. J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir ; Les vierges se voilaient et craignaient de mourir. M'enveloppant alors de la colonne noire, J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire, Et j'ai dit dans mon coeur : Que vouloir à présent ? Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant, Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche, L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche ; Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous, Et, quand j'ouvre les bras, on tombe à mes genoux. Ô Seigneur ! j'ai vécu puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! "

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