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Adam Mickiewicz

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Adam Mickiewicz 1798-1855 Quel poète aurait pu rêver d'une vie plus belle, d'un destin plus magnifique que celui de Mickiewicz ? Non pas que son existence ait été riche en conflits dramatiques, en hauts et bas spectaculaires, qu'elle ait été marquée de la démesure chère aux Romantiques de son temps. Au contraire, vue superficiellement, elle a plutôt manqué de pittoresque. Les astres bienveillants semblent avoir protégé le poète, amortissant les chocs extérieurs. S'il a connu des persécutions, elles ont été relativement bénignes ; son séjour en prison fut court, son exil en Russie fut doux ; jamais, au cours de sa vie d'émigré, il n'a connu la vraie misère. Une force d'âme peu commune et des circonstances favorables lui ont permis de surmonter assez facilement les déceptions amoureuses et son veuvage précoce. Et d'ailleurs, ce petit hobereau lithuanien avait trop de bon sens terrien, trop de santé morale pour perdre jamais sa maîtrise de soi, pour s'exposer inutilement, pour se compromettre par bravade. S'il lui est arrivé un jour de s'oublier au point d'interrompre le pape et de le saisir par la manche de sa soutane, ce fut là un cas tout à fait exceptionnel. Seule sa mort brusque — à Constantinople — dans l'atmosphère irréelle d'une irréalisable croisade, se prête à la peinture historique.

« Adam Mickiewicz 1798-1855 Quel poète aurait pu rêver d'une vie plus belle, d'un destin plus magnifique que celui de Mickiewicz ? Non pas que son existence ait été riche en conflits dramatiques, en hauts et bas spectaculaires, qu'elle ait été marquée de la démesure chère aux Romantiques de son temps.

Au contraire, vue superficiellement, elle a plutôt manqué de pittoresque.

Les astres bienveillants semblent avoir protégé le poète, amortissant les chocs extérieurs.

S'il a connu des persécutions, elles ont été relativement bénignes ; son séjour en prison fut court, son exil en Russie fut doux ; jamais, au cours de sa vie d'émigré, il n'a connu la vraie misère.

Une force d'âme peu commune et des circonstances favorables lui ont permis de surmonter assez facilement les déceptions amoureuses et son veuvage précoce.

Et d'ailleurs, ce petit hobereau lithuanien avait trop de bon sens terrien, trop de santé morale pour perdre jamais sa maîtrise de soi, pour s'exposer inutilement, pour se compromettre par bravade.

S'il lui est arrivé un jour de s'oublier au point d'interrompre le pape et de le saisir par la manche de sa soutane, ce fut là un cas tout à fait exceptionnel.

Seule sa mort brusque — à Constantinople — dans l'atmosphère irréelle d'une irréalisable croisade, se prête à la peinture historique. Mais dépourvue d'effets théâtraux, cette vie fut d'une intensité, d'une plénitude, d'une grandeur extraordinaires.

Rare privilège : Mickiewicz (et cela malgré la complexité de sa nature) n'a pas connu ces hésitations, ces piétinements où se sont épuisés tant de génies.

Il n'y eut pas chez lui de décalage entre la conscience et la réalisation.

Il sut toujours s'extérioriser complètement, trouvant, à chaque étape de sa croissance intellectuelle et spirituelle, un nouveau mode d'expression.

Une enfance "rustique et angélique" ; un grand amour malheureux, sublimé en poèmes immortalisant le nom de Maryla ; le premier engagement politique où le poète fait preuve d'un noble courage ; le succès littéraire presque immédiat et grandissant d'année en année ; puis, après l'exil, le dépassement du "Sturm und Drang", l'apostolat patriotique et messianique, le rôle de chef moral reconnu par toute une nation — furent, dans l'essentiel, les étapes d'une carrière couronnée par l'apothéose posthume. Nul, parmi ses pairs, ne fut sans doute plus poète que Mickiewicz et moins "homme de lettres".

Malgré la facilité, on pourrait dire médiumnique, avec laquelle il écrivait, on ne décèle chez lui aucun soupçon de graphomanie.

Son oeuvre littéraire tient en peu de volumes et c'est délibérément, en plein essor de ses forces créatrices, qu'il abandonne la poésie écrite pour s'adonner entièrement à la poésie de l'action.

Son activité artistique ne dure que quinze ans.

Mais ce temps court lui suffit pour s'élever au niveau des plus grands artistes de l'humanité.

"Grand poète romantique", dit-on couramment en parlant de lui.

Cette définition est très incomplète.

En effet, si le jeune Mickiewicz s'éprend des Romantiques allemands et anglais, s'il rompt avec un classicisme stagnant, s'il bouleverse et renouvelle la poésie polonaise en y introduisant audacieusement idées et formes nouvelles, s'il y accomplit une révolution pareille à celle que Joukovsky et le jeune Pouchkine ont accomplie en Russie, s'il oppose le sentiment et l'intuition à la raison, il n'en demeure pas moins ancré dans une tradition populaire et nationale, polonaise et catholique qui reste toujours la source la plus profonde de son inspiration.

C'est ainsi que le folklore des Ballades et Romances (1829) et des premières parties des Ayeux (1823) a beau être stylisé, il ne constitue nullement un tribut à la mode, aux théories herdériennes, mais jaillit en quelque sorte de la terre lithuanienne, le drame werthérien de Gustave se joue dans un climat profondément chrétien, et Conrad Wallenrod (1828), le poème en apparence le plus byronien de Mickiewicz, célèbre non pas une passion égotiste, mais un engagement patriotique. Quant à l'oeuvre du poète mûri dans l'émigration, elle marque le dépassement progressif du romantisme.

Dans la grandiose "improvisation" de Conrad (dernière partie des Ayeux, 1832) qui évoque extérieurement Manfred et le Faust, mais s'apparente spirituellement aux plus saisissantes pages de Dostoïevski, le thème de la rébellion individualiste est épuisé et l'image du surhomme prométhéen s'efface devant celle du messager inspiré, exécutant conscient et humble de la volonté divine.

Dès cette époque, en effet, Mickiewicz n'obéit plus à des impératifs peu coordonnés, à des impulsions purement affectives ; il est en possession d'une doctrine où sa religion perdue et retrouvée, son patriotisme fervent et son culte de l'action héroïque se trouvent harmonieusement conciliés.

L'individuel s'intègre pour lui dans le communautaire, le communautaire dans le panhumain.

Il prêche la régénération par le sacrifice accepté, la souffrance sublimée en amour.

La cause de la Pologne devient oecuménique et sacrée, car cette nation-martyre est le "Christ des peuples" et sa résurrection sera un prélude à une transfiguration glorieuse de l'humanité. Cette doctrine messianique s'exprime dans les Livres du pèlerinage polonais (1832) et sustente Messire Thadée (18321834), le suprême chef-d'oeuvre de Mickiewicz et sa plus étonnante réussite.

Plus de forme romantique ici : douze mille vers de treize syllabes chers à la vieille Pologne, où éclate une prodigieuse richesse d'inspiration et une merveilleuse maîtrise verbale ; puissante évocation d'une Lithuanie patriarcale et seigneuriale déjà disparue, mais frémissante de vie, roman réaliste où des passages vibrants d'un lyrisme contenu, de nostalgie poignante succèdent aux scènes idylliques, dramatiques ou comiques brossées avec un détachement épique ; message de fidélité et d'espoir, leçon de patriotisme éclairé, ainsi se présente cette Iliade polonaise, l'unique épopée nationale des temps modernes. On conçoit qu'après avoir réalisé cet exploit Mickiewicz ait abandonné l'art dont il semble avoir atteint les limites.

En effet, comme Jean Lechon l'a remarqué récemment, dans les Ayeux déjà on touche au miracle : Gustave-Conrad n'est pas un personnage mythique entré dans la litté¬rature, mais une création poétique qui engendre un mythe.

Dans Messire Thadée, le pas suivant est franchi : c'est le mythe d'une nation qui y prend naissance.

Une fois créé, il déterminera le destin du poète, comme (dans une forte mesure, du moins) le devenir de son pays.

Car, ne l'oublions pas, c'est par la poésie surtout que la Pologne dépecée a retrouvé son âme qui survit aujourd'hui aux pires désastres.. »

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