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A la question : qu'y a-t-il de vrai dans vos histoires? le romancier contemporain Michel Tournier avoue être tenté de répondre : « Rien, j'ai tout inventé. » Pensez-vous, d'après vos lectures, que tout soit inventé dans les romans ?

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De la même façon, Flaubert, romancier réaliste, décrit dans les plus grands détails la casquette de Charles Bovary et la pièce montée de son mariage, Zola s'est longuement documenté dans des livres et par des témoignages directs sur la vie des mineurs, leur travail, leurs maladies, avant d'écrire Germinal. Même Gérard de Villiers va passer quelques semaines dans chaque pays où il situe l'action de ses SAS. C'est toujours l'idée des théoriciens réalistes, les Goncourt, et plus tard Maupassant, dans La Préface de Pierre et Jean, d'après lesquels seule une accumulation de détails permet de traduire le vrai. Tout n'est pas toujours invention non plus dans les personnages, ou dans l'histoire : ainsi Stendhal pour Le Rouge et le Noir, Flaubert pour Madame Bovary, se sont inspirés de faits divers de leur époque : c'est alors une transposition dans le roman. Certaines tendances autobiographiques apparaissent dans l'Éducation sentimentale, où Flaubert transpose sur Frédéric et Madame Arnoux son amour de jeunesse pour Élise Schlesinger, dans A la Recherche du Temps perdu, où Proust retrouve la mémoire disparue de son enfance et de son adolescence, pour en arriver à sa vie d'adulte, dans L'Immoraliste, où Gide se confie sur ses tendances et ses amours particulières. Enfin certains romans historiques ou d'actualité, prennent largement leur matière dans la réalité plus que dans l'invention : Henri Troyat part de l'histoire de la Russie quand il écrit Catherine II ou Ivan le Terrible, Françoise Giroud fait un amalgame de Présidents de la République et utilise sa connaissance de la vie politique pour écrire Le Bon Plaisir. Tout n'est pas inventé dans le roman, tout n'est pas copié non plus sur la réalité, c'est plutôt une « recréation », une transposition. En effet, si le romancier n'inventait rien, il pourrait seulement écrire des ouvrages historiques peu romancés, des rapports sociologiques, ou des articles de journaux. Ceux qui ont vraiment tenté cette peinture de la réalité sans invention ont abouti à un échec : les Goncourt, en décrivant dans sa totalité une opération chirurgicale, sans aucun choix des détails, ont abouti à la rédaction d'un rapport médical long, ennuyeux, obscur, illisible, sans aucun fil conducteur; Albert Camus, dans La Peste, montre l'échec de l'art photographique dans la tentative avortée que fait Grandet pour décrire parfaitement l'image de la belle Amazone au Bois de Boulogne. Les romanciers réalistes qui ont écrit de grands romans ont compris qu'une part d'invention était nécessaire, dans une « recréation » qui permet de transposer la réalité, et ainsi d'aboutir au naturel.

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