binaire biographie chevaleresque blâme blason bocage bohème burlesque
binaire. Adjectif qui qualifie toute structure linguistique ou poétique où deux éléments sont liés de manière récurrente. Il peut s’agir d’éléments rythmiques (cas de l’alexandrin binaire 6/6), de syntagmes coordonnés ou juxtaposés, mais on parle aussi de binarité dans le cas d’une période où protase et apodose s’équilibrent nettement. Exemple de ces deux vers de Germain Nouveau, tous deux fortement binaires : Aimez bien vos amours ; aimez l’amour qui rêve Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux. (La Doctrine de l’amour.)
biographie chevaleresque. Ce terme a été introduit récemment dans le vocabulaire de la médiévistique. Il désigne des textes relevant de poétiques différentes (en vers ou en prose), mais ayant en commun leur objet : raconter, de façon plus ou moins romancée, les événements marquants d’un personnage historique qui s’est illustré par ses exploits chevaleresques. La plus ancienne est l’Histoire de Guillaume le Maréchal (début XIIIe siècle) ; la période la plus fertile fut le XVe siècle (Histoire des seigneurs de Gavre). Ce genre (qui n’en est peut-être pas un : son existence est discutée) prend place au carrefour de l’historiographie, du roman (peinture courtoise de l’amour, service de la Dame), et de la chanson de geste, dont il cultive la thématique épique et dont il adopte exceptionnellement la forme {Chanson de Bertrand du Gués clin, 14e siècle).
blâme. Dans le classement des genres rhétoriques, le blâme appartient au genre épidictique (démonstratif), qui a en charge les valeurs (beau/laid) ; le blâme est la partie qui consiste à dénoncer les vices : ses procédés sont 1 exact contraire de ceux qui servent à l’éloge, avec notamment les figures de la dépréciation, comme la tapinose, ou l’éloge paradoxal. Le blâme est le régime rhétorique qui correspond le mieux aux genres de la satire, du pamphlet, et de la polémique en général.
blason. Genre poétique mis en vogue au xvie siècle par Clément Marot. C’est une pièce en vers généralement courts à rimes plates destinée à faire un éloge, généralement pour louer le corps féminin, mais pas toujours. Voici un extrait d’un « Blason du corps féminin » du poète contemporain René Depestre {Journal d’un animal marin, 1964) : Hanches, tracteurs joyeux Qui savent monter à l’assaut Des meilleures terres de notre sang.
Blason. Poème versifié à rimes plates qui contient l’éloge ou le blâme, chantant brièvement un aspect particulier d’un thème, guerre, amour, etc. Le Blason de fausses amours (1486), poème satirique de G. Alexis, inaugure le genre. Jouissant d’un grand succès, il est aussitôt imité. L’époque la plus féconde en ce qui concerne les blasons va de 1535 à 1550. Les Cinq Blasons de Maurice Scève sont des modèles du genre. Les blasons les plus fréquents font l’éloge d’une partie du corps féminin, œil, front, sourcil, sein, etc., partie qui fonctionne comme une synecdoque de la femme. Multipliant l’apostrophe à la partie invoquée, le blason prend souvent l’aspect d’une litanie et recourt à l’anaphore : Tétin de satin blanc tout neuf, Tétin qui fait honte à la Rose, Tétin plus beau que mille choses... (Marot, Blason du Beau Tétin, 1535)
Pour renouveler un genre qui risque de s’épuiser, les poètes se mettent rapidement à écrire des «contre-blasons», où ils décrient systématiquement ces mêmes parties du corps. Après avoir écrit le Blason du Beau Tétin, Marot compose le Contre-Blason du Laid Tétin. Les blasons constituent au XVIe siècle une littérature à clé dont raffole la bonne société qui décrypte aussitôt dans chaque blason la personne visée :
Aussi n’est-il blason, tant soit infâme Qui sût changer le bruit [la réputation] d’honnête femme Et n’est blason, tant soit plein de louange, Qui le renom de folle femme change. (Marot)
Le genre meurt à la fin du xvie siècle, mais épisodiquement certains écrivains lui redonnent vie. Ainsi Etiemble écrit-il en 1961 un roman érotique intitulé Blason d’un corps.
bocage. Au XVIe siècle, le mot désigne un recueil de poésies mêlées, de tons et de formes différents. Il est l’équivalent du latin silva, choisi par le poète latin Stace (fin du 1er siècle ap. J.-C.) comme titre de l’un, de ses recueils (Silvae), et repris par l’humaniste Politien puis, au XVIe siècle, par le poète néolatin Jean Second. L’équivalent italien est Selve : titre d’un recueil de Laurent le Magnifique. Ronsard s’est servi plusieurs fois du mot «Bocage». Celui de 1554 rassemble des «Vœux», des « Épitaphes », des « Blasons » et des « Odelettes ». En 1584, sous le titre de Bocage royal, le chef de la Pléiade fait paraître des pièces adressées aux rois, aux princes et aux grands de ce monde. La vogue du mot et du genre correspond au goût de la Renaissance pour la varieras, dont un autre aspect se trouve dans les « grotesques », appréciés par Montaigne. Les plaisirs du « bocage » étant peu conformes aux principes du classicisme, le mot disparaît du vocabulaire littéraire au XVIIe siècle.
bohème. A l’époque romantique, à partir de la réputation de marginaux faite aux bohémiens ambulants, on utilisa le nom de bohème (généralement sans majuscule ni accent circonflexe en l’absence de référence géographique) pour désigner ce qui était une province du rêve autant que le comportement d’une frange de la jeunesse. L’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier (1830) en désigne le pôle imaginaire, à la fois fantaisiste et allégorique ; la nouvelle de Balzac Un prince de la bohème (1840) présente la bohème à la mode des fils de famille provisoirement sans le sou, mais élégants et attendant les hautes charges dont ils seraient dignes ; dans ses Petits Châteaux de Bohême, Gérard de Nerval (reprenant en volume en 1853 des textes publiés l’année précédente sous le titre La Bohême galante) évoque avec nostalgie sa jeunesse et ses premiers poèmes, comme si la bohème appartenait déjà au passé. Henri Murger, présentant ses célèbres Scènes de la vie de bohème (1848), y voit une étape inévitable de la vie artistique. Non sans quelque ironie,. Rimbaud reprendra le thème, qui ne cesse d’être chanté.
bourdon. En codicologie, on appelle bourdon une faute de copiste qui consiste en un saut du même au même : dans l’original, un même mot ou un même groupe de mots apparaissait deux fois à quelques lignes ou quelques vers de distance, et le regard du copiste a par erreur glissé de l’un à l’autre en omettant l’entre-deux.
bout-rimé. Court poème composé sur des rimes données à l’avance : jeu littéraire de salon très à la mode du XVIIe siècle au XIXe siècle. Le pluriel, bouts-rimés, désigne ces rimes ainsi distribuées.
branche. Au Moyen Age, ce terme désigne un texte qui forme un tout narratif, mais demande à être rattaché à un ensemble plus vaste. C’est le cas principalement du Roman de Renart, dont la « matière » - les exploits et méfaits du goupil - constitue le tronc duquel se détachent ces ramifications que sont les aventures particulières du héros. Le terme est également employé pour désigner les chapitres d’un roman, le Perlesvaus (début XIIIe siècle), les grandes parties du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Bernay (1180), ainsi que pour servir de titre à une chronique, la Branche des royaux lignages de Guillaume Guiart (début XIVe siècle), qui relate l’histoire des rois de France de Philippe Auguste à 1307. La critique l’emploie habituellement pour désigner les parties successives, narrativement indépendantes, de certaines chansons de geste comme le Couronnement de Louis. Le terme de branche désigne donc une forme d’indépendance dans l’interdépendance.
burlesque. Ce mot vient de l’italien burlesco, « comique, plaisant » ; il désigne, en France, au XVIIe siècle, un style reposant sur le contraste des tons : le poète fait parler des héros tragiques ou épiques comme des personnages de comédie, en utilisant un registre lexical bas et vulgaire par rapport à la langue élevée traditionnelle. Le cœur du procédé repose donc sur une distorsion de la hiérarchie traditionnelle des styles, telle que la définissait Aristote dans sa Poétique : selon lui, chaque personnage devait parler dans un style conforme à son rang (style élevé dans a tragédie, qui met en scène des princes ; style bas dans a comédie, qui met en scène des bourgeois). Le procédé est donc très efficace du point de vue de la critique littéraire et il a joué un grand rôle dans la genèse de nouvelles formes. Au XVIIe siècle notamment, alors que l’esthétique d’ensemble repose sur la mémoire et l’imitation, la parodie est vite apparue comme un genre privilégié. Saint-Amant (1594-1661) s’inspire des burlesques italiens en 1643 dans La Rome ridicule. C'est dans cette lignée que Scarron entreprend son Virgile travesti (1648-1653), qui est une traduction-adaptation burlesque de l'Énéide de Virgile. Certains critiques condamnèrent les excès du genre, et tentèrent d’en définir une poétique tempérée, susceptible de plaire au goût mondain. Ainsi compris, le burlesque a persisté à l’époque classique, sous la plume de Boileau [Arrêt burlesque, Le Chapelain décoiffé et Le Lutrin}, et, de façon plus subtile, mais omniprésente, dans les Fables de La Fontaine. Au XVIIIe siècle, le Télémaque travesti (1715) de Marivaux, mais aussi les effets plaisants de contraste que Montesquieu introduit dans ses Lettres persanes sont autant d’avatars du burlesque, dont le caractère corrosif plaît tant à l’esprit des Lumières. Le XIXe siècle, après avoir loué le goût du grotesque (Gautier, Hugo) et fait du mélange des tons une esthétique (Musset), rend au burlesque ses lettres de noblesse avec la modernité (de Rimbaud au surréalisme, en passant par Laforgue et Apollinaire).
Burlesque. Terme tiré de l'italien, qui désigne une forme de comique lié à la culture populaire et à ces fêtes carnavalesques, médiévales ou renaissantes, dont l’atmosphère est si bien décrite par Bakhtine. Ce type de comique use de la dérision, du pastiche, inversant systématiquement les signes de l’univers représenté : son domaine de prédilection est la farce, les spectacles de la commedia dell’arte, ou ceux des clowns. Il est très présent chez les grands comiques du cinéma des années 1920-1930 comme Max Linder, Chaplin, Buster Keaton ou les Marx Brothers.
Le burlesque devient une mode littéraire en France au XVIIe siècle, de 1643 à 1653 essentiellement. La mode est lancée par Scarron, avec son Recueil de quelques vers burlesques (1643) et son Virgile travesti (1648). Elle est exploitée par d’Assoucy avec Le Jugement de Paris (1648) et par Perrault qui, dans Les Murs de Troie (1653), démythifie les grands héros de l’Enéide, ravalés au rang de personnages ordinaires. Le rire naît, dans ces œuvres, de la disproportion entre la noblesse des sujets et la grossièreté voulue de l’expression. Le burlesque, sombrant dans la vulgarité, décline rapidement. Boileau, dans son Art poétique en 1674, condamne le genre. Marivaux, toutefois, continue cette tradition au XVIIIe siècle dans son Homère travesti (1736). Le genre ne survit pas en tant que tel, mais son esprit se perpétue dans le pastiche. L’héroï-comique, qui est une parodie du ton héroïque, est une forme de burlesque.
On qualifie de macaronique une poésie burlesque dans laquelle on affecte de terminaisons latines les mots de la langue vulgaire. Molière, lorsqu’il veut se moquer du jargon des médecins, affectionne le procédé. Ex. : lors du troisième et dernier intermède du Malade imaginaire, le chirurgien qui intronise Argan dans ses fonctions de médecin, clôt la pièce ainsi :
Puissent toti anni
Lui essere boni
Et favorabiles
Et n’habere jamais
Quam pestas, verolas,
Fievras, pluresias.
Fluxus de sang, et dyssenterias !