Les dieux sont-ils libres ?

« Les dieux sont-ils libres ? A cette question, a priori, la réponse est « oui ».

En effet, la liberté, ou pouvoir de ne pas être empêché dans ses actions par un quelconque obstacle, vient, presque par définition, de la quantité de pouvoir d’agir dont on dispose.

Or, des dieux, on dit souvent qu’ils sont omnipotents, c’est-à-dire disposant de tout pouvoir.

Leur action ne rencontre aucun obstacle. Ils semblent donc être libres. Cependant, tous les dieux ne sont pas omnipotents.

Le simple pluriel attribué à notre énoncé et au mot « dieux » pose problème.

En effet, comment plusieurs êtres pourraient-ils disposer de tout pouvoir, puisque le pouvoir ne se partage qu’en se perdant et que justement ils sont plusieurs ? Deux dieux ne peuvent pas être omnipotents à la fois, en ce que l’action de l’un parasitera et empêchera toujours plus ou moins l’action de l’autre, exactement comme il ne peut pas y avoir deux patrons, ou deux rois.

C’est pour cela que dans les religions polythéistes certains dieux paraissent bien misérables ou soumis à d’autres, d’où aussi le titre de « dieu des dieux » (Zeux, Wotan, etc.). Si les dieux ne sont pas libres ni omnipotents, peut-être alors que le Dieu unique, audessus d’eux, l’est véritablement.

Mais omnipotence ne signifie pas liberté.

En effet, l’être omnipotent se heurte à l’impossibilité d’être faible.

On connaît ce fameux paradoxe de Dieu omnipotent, donc censé pouvoir tout faire, et qui pourtant ne peut logiquement pas faire de rocher qu’il serait incapable de soulever : il est donc omnipotent et non omnipotent à la fois, ce qui est contradictoire. Disposer d’une puissance divine, ce n’est pas seulement disposer d’une liberté d’exercer cette puissance, c’est aussi être lié à cette puissance de façon inévitable, comme 2+2 l’est à 4.

En d’autres termes, donc, un dieu dispose d’un pouvoir d’agir librement grâce à sa puissance, mais il ne dispose pas du pouvoir de disposer de cette puissance elle-même.

Dans le Siegfried de Wagner, Wotan (ou Odin), se lamente de ne pouvoir échapper à sa propre nature divine ; pour cela, il doit enfanter son petit fils Siegfried qui, en s’opposant à lui, le détrônera.

Et le Dieu chrétien n’aurait-il pas créé Eve pour qu’elle chute, et que lui-même chute avec elle (sous la figure de Jésus) ? On dira alors que Dieu est libre, non du fait de son omnipotence, mais du fait de sa primeur, parce qu’il est créateur, premier, et que rien ne le précédait.

Toute chose du monde, en tant qu’elle est précédée d’événements qu’elle ne choisit pas elle-même (puisqu’ils la précèdent), est effet de causes, au sein d’une chaîne causale déterminée et sans aucune contingence.

Je ne suis pas libre d’être moi, ni même d’agir ou de penser à tel ou tel moment : un ensemble de petites causes me déterminent, même lorsque je ne m’en rends pas compte.

Le hasard n’est donc en réalité qu’une apparence subjective, le fruit de l’ignorance, comme le développe Laplace. Mais Dieu, lui, créateur de tout, cause première, serait donc libre, puisqu’il ne serait l’effet de rien.

Cependant,.... »