Un écrivain ou artiste en général peut-il être en dehors des événements qui marquent son époque ?
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Le travail de l'écrivain ou de l'artiste, se situe au fil du temps entre le devoir de défendre et de s'engager dans une
lutte contre l'horreur (des guerres) et la possibilité d'exister en-dehors des événements qui marque son époque.
Le sujet pose donc le problème du choix entre « devoir » et « pouvoir » et interroge en particulier le rôle de
l'intellectuel : Peut-il se permettre effectivement de vivre dans sa tour d'ivoire retiré du monde ? Son statut de privilégié
l'oblige-t-il à demeurer cet homme de lettres (ou artiste) engagé ? S'affranchit il parfois de cette fonction pour mieux
explorer des terres inconnues ?
I/ L'engagement : moteur de l'écriture d'hier et d'aujourd'hui :
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Écrivain engagé, artiste engagé, « intellectuel engagé »… Cet adjectif, connaît un vif succès au XXe siècle et définit
une attitude que Victor Hugo ou Émile Zola avaient déjà adoptée.
L'écrivain ne vit pas dans une tour d'ivoire, il
appartient à la cité et doit prendre parti, notamment sur la scène politique.
Héritier des philosophes des Lumières, le
poète du XXe siècle se donne pour mission de s'engager à changer la vie.
Une position qui est devenue à ses yeux une
nécessité existentielle et un rôle qui est autant social qu'humanitaire.
Il s'agit, en effet, de guider le peuple dans sa
marche vers l'avenir, Victor Hugo l'avait formulé ainsi: « Peuples, écoutez le poète !» (Les rayons et les ombres).
L'expérience poétique (de poiein qui signifie « faire ») s'impose comme une absolue nécessité et s'articule à la difficulté
d'affronter le monde.
Cette conception se retrouve aux siècles précédents, notamment dans Les châtiments de Victor
Hugo, la plus représentative d'une poésie de combat contre un pouvoir autoritaire ou bien dans Les Tragiques d'Agrippa
d'Aubigné au XVIe siècle…
Vraisemblablement l'engagement politique en poésie est à considérer comme l'un des moteurs potentiel de l'écriture.
Or les écrivains philosophes des Lumières étaient eux aussi des intellectuels engagés.
Mais c'est avec le « J'accuse !»
que la figure de l'intellectuel engagé prend alors la figure qu'on lui connaît.
Son milieu de naissance étant la polémique,
c'est l'esprit qui le caractérise.
Il se dresse contre l'ordre établit.
Les années 1940 et les suivantes ne favorisent pas l'attitude désengagée.
La guerre est un fait marquant du XXe
siècle (la France ne sera en paix qu'en 1962), elle est à la base de cette écriture moderne (Grande guerre, Guerre
d'Espagne, Seconde Guerre mondiale, décolonisation construisent et déconstruisent l'homme moderne).
Les conflits
font des victimes chez les intellectuels.
Elles influent leur mode de pensée : faut-il être pacifiste ou soutenir certaines
causes ? Diverses sortes d'implications sont possibles : être résistant comme René Char ou participer au pouvoir
comme André Malraux… Quant à Picasso il choisit d'exprimer les atrocités de la guerre d'Espagne en peinture avec le
célèbre tableau : Guernica.
Capitale religieuse du pays Basque espagnol, Guernica essuya le premier bombardement
terroriste de l'histoire, qui inspira également une des plus violentes sculptures de Rene Iché et l'un des poèmes de
Paul Éluard.
II/L'espace de création ou la liberté de s'affranchir des événements qui marquent son époque :
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Cependant c'est au cours du XX e siècle que se développe également le modèle de l'écrivain d'avant-garde, qui
n'accorde un grand crédit ni à son époque, ni au passé (voir notamment le mouvement dada en 1920).
Plus solitaire,
l'expérimentateur est une autre figure essentielle de la modernité.
De manière obscure, risquée, il cherche de nouveau.
Par exemple, en mettant au point l'écriture automatique, les surréalistes André Breton et Philipe Soupault ont favorisé
un mode d'expression libre qui n'est pas de la littérature au sens strict du mot.
Avec Marcel Duchamp, le geste
artistique devient une pratique systématique du détournement : il ajoute en effet une moustache à La Joconde.
L'artiste d'avant-garde accomplit un bond en avant qui peut être aussi un saut dans le vide.
Rimbaud avait déjà
donné la formule inaugurale d'une telle aventure : « La Poésie ne rythmera plus l'action ; elle sera en avant ».
Apollinaire a fait de cette notion de progrès le principe de se poésie tant sur le plan de la forme que sur celui du
contenu thématique (notamment dans Alcools et Calligrammes)
Le refus de la guerre et des idéologies funestes amène donc l'artiste à faire sécession.
Par là il rompt avec le
système de valeurs du passé et vit en dehors des événements de son époque.
Il met par exemple en avant de la
scène artistique des objets dévalués dont le pouvoir de subversion est total.
Ainsi Marcel Duchamp formé aux
inventions déroutantes du mouvement dada envoie en 1917 à l'exposition de New York, un objet intitulé Fontaine et
qui n'est autre qu'un urinoir posé à l'horizontale.
III/Être ou ne pas être…engagé, un choix propre à chacun :
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À partir de la Seconde Guerre mondiale, Jean-Paul Sartres se situe dans la logique marxiste qui appréhende l'histoire
comme une dynamique animée par la lutte des classes.
Mais selon lui l'intellectuel est déchiré entre son savoir
universel qui lui procure une place à part dans la société et son statut d'individu intégré à la réalité sociale.
Ainsi de ce
qui était un simple comportement, Sartres élabore une théorie.
Lorsqu'il en appelle à l'engagement des écrivains en
1945 dans le premier texte des Temps modernes, sa revue culturelle et politique, il déclare : « l'écrivain est en situation
dans son époque : chaque parole a des retentissements ».
Qui plus est le mouvement existentialiste peut se résumer
ainsi : je suis ce que je fais de moi par mes actions.
On appelle ce langage, le langage performatif, car au moment où
l'écrivain le dit, il accomplit l'action qu'il énonce, il s'engage.
Sur un autre modèle celui de Camus à présent, nous pouvons constater que l'écrivain s'emploie généralement à
dénoncer les révolutions selon lui trop souvent sources de despotisme.
Mais Camus dans L'Homme révolté, exalte une
révolte métaphysique qui relève de l'absurde et non de la violence.
De ce point de vue, il défend un engagement plus
modéré, voire plus idéaliste.
Enfin tous les écrivains ou artistes, ne s'estiment pas obligés de faire acte de civisme.
Au contraire ils ont plutôt
choisi d'explorer d'autres terres… L'écriture, en effet, est aussi une manière de voyager, d'essayer « l'autre bout »,
c'est-à-dire l'autre bout de soi.
Dans Passages Michaux déclare : « j'écris pour me parcourir ».
Il affirme son intention de
sonder son « terrain » et d'y disposer des figures du dissemblables et du monstrueux, afin de soustraire quelque part
à une réalité qui le laisse indifférent..
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- Victor Hugo présente le poète comme un prophète dont le rôle est de guider le peuple dans les périodes difficiles. Vous vous demanderez si cette fonction doit être celle de l'écrivain ou de l'artiste en général.
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- A la manière de Diderot, vous composerez un dialogue argumentatif qui oppose deux conceptions de la l'écriture: l'une qui affirme que l'écrivain doit rendre compte de son époque et s'engager politiquement et l'autre affirme au contraire que l'écrivain doit se tenir en retrait.
- Écrire une fable en prose qui présente une allégorie de la condition de l'artiste à notre époque.
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