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Thucydide

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La vie de Thucydide se partage entre deux moments de l'histoire d'Athènes, la splendeur de ces trente années triomphantes du milieu du Ve siècle av. JC marquées du nom de Périclès, et le dernier quart du siècle, où, assiégée au cœur de l'Attique, traquée dans ses plus lointaines possessions, la ville de Pallas voit surgir et se liguer à travers la Grèce des haines grandissantes, cède peu à peu à la maladie, à la famine, à l'angoisse, enfin, en 404 av. JC, s'effondre dans l'humiliation de l'occupation spartiate. C'est de cette crise de la puissance d'Athènes que Thucydide, âgé de trente à quarante ans a conçu le projet de faire l'histoire, à mesure qu'elle se déroulait, dans la seconde partie de sa vie : cette Histoire de la guerre du Péloponnèse, en ses huit livres, est l'œuvre unique, au demeurant inachevée, de Thucydide, fils d'Oloros.

« Thucydide La vie de Thucydide se partage entre deux moments de l'histoire d'Athènes, la splendeur de ces trente années triomphantes du milieu du Ve siècle av.

JC marquées du nom de Périclès, et le dernier quart du siècle, où, assiégée au coeur de l'Attique, traquée dans ses plus lointaines possessions, la ville de Pallas voit surgir et se liguer à travers la Grèce des haines grandissantes, cède peu à peu à la maladie, à la famine, à l'angoisse, enfin, en 404 av.

JC, s'effondre dans l'humiliation de l'occupation spartiate. C'est de cette crise de la puissance d'Athènes que Thucydide, âgé de trente à quarante ans a conçu le projet de faire l'histoire, à mesure qu'elle se déroulait, dans la seconde partie de sa vie : cette Histoire de la guerre du Péloponnèse, en ses huit livres, est l'oeuvre unique, au demeurant inachevée, de Thucydide, fils d'Oloros. De la vie de l'auteur nous ne savons que ce qu'il a été amené lui-même à noter, en dehors de toute confidence ou apologie, dans la trame de son récit, selon les rigueurs de sa méthode.

Appartenant à l'une des plus grandes familles d'Athènes, celle de Miltiade et de Cimon, maître de l'une des plus grandes fortunes, fondée par des alliances avec les princes de Thrace sur l'exploitation des mines d'or et des forêts du Mont Pangée, Thucydide, pendant ses trente premières années, a dû se préparer aux tâches qui pouvaient lui incomber, réfléchir au gouvernement de la cité, à ses ressources, à ses alliances, à son destin.

Il n'y a pas lieu de s'étonner si, lorsqu'il dut renoncer à l'action, l'évolution de l'empire d'Athènes, et, à travers ce cas particulier, par un besoin de son esprit, celle de tout empire maritime et colonial, devint le centre de ses réflexions et l'idée directrice de son oeuvre.

Non moins saisissant demeure dès lors l'extraordinaire détachement avec lequel il a pu exposer l'histoire d'événements où sa vie, sa fortune, le sort de sa patrie se trouvaient suspendus.

Pourtant, il ne nous parle de lui-même qu'incidemment, lorsqu'il se trouve comme stratège appelé en Thrace pour dégager Amphipolis du brusque assaut de Brasidas, et surtout lorsqu'il arrive que sa situation personnelle porte garantie de la valeur de ses observations : il ne nous dit avoir été atteint de la peste à Athènes, au cours de la deuxième année de la guerre, en 430 av.

JC, que pour justifier l'exacte notation des symptômes qu'il en a pu faire sur lui-même ; il ne signale son exil en 424 av.

JC, après son échec devant Amphipolis, que comme une occasion exceptionnelle qui lui fut donnée désormais de recueillir les documents de son histoire et de pénétrer également les vues des deux groupes de belligérants.

Sans doute devons-nous à cet exil, qui tranche si brusquement dans la vie de Thucydide, son oeuvre même en même temps que son attitude et sa méthode d'historien. Il se peut bien, puisqu'il nous le dit, que Thucydide ait songé dès le début de la guerre à en écrire l'histoire, commencé de rassembler ses matériaux, pressenti même l'importance de la crise. Mais il n'a pu vraiment mesurer l'importance du conflit, en déterminer les contours et les phases, peser la portée des événements décisifs qu'une fois la guerre achevée ou du moins lorsque prenaient corps dans la réalité les conséquences entrevues.

L'histoire de Thucydide a la superbe rigueur des prévisions après coup.

Devant l'inéluctable problème de la genèse d'une oeuvre née au contact des événements, il faut admettre au moins que les vues de l'auteur se sont précisées non seulement avec le cours des choses, mais aussi à mesure qu'il avançait lui-même dans le cours de son exposé, et qu'ainsi il a dû revenir à maintes reprises sur l'oeuvre déjà élaborée, comme on le sent surtout au début de l'ouvrage, tandis que le dernier livre n'est encore qu'une ébauche.

OEuvre singulière par là comme par l'attitude d'impassible lucidité de l'auteur, attitude érigée d'emblée en méthode consciente et qui définit pour nous l'attitude proprement historique, mais que rien n'annonce dans l'oeuvre des prédécesseurs, dont aucun de ses successeurs n'a su retrouver la sérénité souveraine, et qui marque à vrai dire l'un des grands moments de la pensée humaine.

Au moment même où Hippocrate, rejetant les formules de la magie et de la superstition, applique au corps humain et à ses maladies l'observation méthodique des symptômes, des remèdes et des effets, Thucydide applique aux événements politiques, aux grands maux sociaux et moraux, aux conflits de puissance d'où naissent les guerres, l'implacable diagnostic qui s'interdit légende, poésie, déclamation, pour éclairer de la seule et sévère lumière de l'intelligence l'enchaînement naturel des phénomènes historiques. Non plus embellir comme Homère, non plus conter comme Hérodote, mais seulement comprendre et faire comprendre ; tirer de chaque événement la substance qui en fait nourriture de la pensée et permet à l'esprit à travers analogies et différences de retrouver les lois générales utilisables en d'autres temps et d'autres conditions ; tel est le but de Thucydide. Tel est le ressort de cet effort si neuf de composition pour reconstituer le tissu confus des faits en un texte perméable à l'intelligence, où sont distinguées des phases et surtout analysées des causes, où l'on discerne pour la première fois aux origines de la guerre le jeu des occasions, des prétextes, des causes immédiates et des causes profondes.

De là ces discours, vraisemblables plutôt qu'authentiques de l'aveu même d'un auteur si exigeant sur l'exactitude des faits, mais destinés à commenter et à éclairer ce texte en même temps qu'ils esquissent des figures dominantes et font la part des volontés humaines dans le cours des événements.

De là ce souci d'une langue retrempée à neuf, où les termes essentiels sont définis, et cette tension de la pensée qui modèle la phrase, utilisant les ressources de la rhétorique ou les bousculant savamment pour faire des rappels, des oppositions, des ruptures d'équilibre autant de moyens de pénétration de l'intelligence. C'est ainsi que L'Histoire de la Guerre du Péloponnèse en ses trois phases, deux guerres encadrant une fausse paix, et ses grands épisodes, peste d'Athènes, prise de Sphactérie, sac de Mélos, et surtout, coup de dé où Athènes joue son empire, la désastreuse expédition de Sicile, cette histoire écrite presque au jour le jour s'est aussitôt cristallisée dans sa forme immuable, et demeure tout à la fois inaltérable témoignage, méthode de pensée, monument d'un généreux amour pour la patrie vaincue, mais aussi, comme l'a conçu Thucydide, leçon de toujours, lecture aussitôt retrouvée de nos grands capitaines, réservant à quiconque la reprend aux jours de crise, le saisissement d'une sorte de perpétuelle actualité.. »

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