Devoir de Philosophie

Théophile de Viau, Pyrame et Thisbé, acte v, scène 2, 1621

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

pyrame
Pyrame et Thisbé s'aiment contre la volonté de leur famille. Les deux amants ont projeté de fuir. Par erreur, Pyrame croit Thisbé morte et, désespéré, se suicide. Thisbé découvre alors le cadavre de son amant. THISBÉ - Quoi ? je respire encore et regardant Pyrame Trépassé devant moi je n'ai point perdu l'âme ! Je vois que ce rocher s'est éclaté de deuil Pour répandre des pleurs, pour m'ouvrir un cercueil ; Ce ruisseau fuit d'horreur qu'il a de mon injure, Il en est sans repos, ses rives sans verdure, Même au lieu de donner de la rosée aux fleurs, L'aurore à ce matin n'a versé que des pleurs, Et cet arbre touché d'un désespoir visible, A bien trouvé du sang dans son tronc insensible, Son fruit en a changé, la Lune en a blêmi, Et la terre a sué du sang qu'il a vomi. Bel arbre, puisqu'au monde après moi tu demeures Pour mieux faire paraître au ciel tes rouges mûres, Et lui montrer le tort qu'il a fait à mes voeux, Fais comme moi, de grâce, arrache tes cheveux, Ouvre-toi l'estomac et fais couler à force Cette sanglante humeur par toute ton écorce. Mais que me sert ton deuil? Rameaux, prés verdissants Qu'à soulager mon mal vous êtes impuissants ! Quand bien vous en mourriez on voit la destinée Ramener votre vie en ramenant l'année : Une fois tous les ans nous vous voyons mourir, Une fois tous les ans nous vous voyons fleurir, Mais mon Pyrame est mort sans espoir qu'il retourne De ces pâles manoirs où son esprit séjourne. Depuis que le Soleil nous voit naître et finir Le premier des défunts est encor à venir, Et quand les Dieux demain me le feraient revivre, Je me suis résolue aujourd'hui de le suivre. J'ai trop d'impatience, et puisque le destin De nos corps amoureux fait son cruel butin, Avant que le plaisir que méritaient nos flammes, Dans leurs embrassements ait pu mêler nos âmes, Nous les joindrons là-bas et par nos saints accords, Ne feront qu'un esprit de l'ombre de deux corps ; Et puisqu'à mon sujet sa belle âme sommeille Mon esprit innocent lui rendra la pareille ; Toutefois je ne puis sans mourir doublement; Pyrame s'est tué d'un soupçon seulement, Son amitié fidèle un peu trop violente, D'autant qu'à ce devoir il me voyait trop lente, Pour avoir soupçonné que je ne l'aimais pas, Il ne s'est pu guérir de moins que du trépas. Que donc ton bras sur moi davantage demeure, O mort ! et s'il se peut que plus que lui je meure, Que je sente à la fois, poison, flammes et fers ! Sus, qui me vient ouvrir la porte des Enfers ? Ha ! voici le poignard qui du sang de son maître S'est souillé lâchement ; il en rougit le traître ! Exécrable bourreau, si tu te veux laver Du crime commencé, tu n'as qu'à l'achever, Enfonce là-dedans, rends-toi plus rude et pousse Des feux avec ta lame ! hélas ! elle est trop douce. Je ne pouvais mourir d'un coup plus gracieux, Ni pour un autre objet haïr celui des Cieux.

Liens utiles