Théodore Agrippa d' AUBIGNÉ (1552-1630) (Recueil : Odes) - Au temps que la feille blesme
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                    Théodore Agrippa d' AUBIGNÉ (1552-1630) (Recueil : Odes) - Au temps que la feille blesme Au temps que la feille blesme Pourrist languissante à bas,  J'allois esgarant mes pas  Pensif, honteux de moy mesme,  Pressant du pois de mon chef  Mon menton sur ma poitrine,  Comme abatu de ruine  Ou d'un horrible meschef. Après, je haussois ma veuë,  Voiant, ce qui me deplaist,  Gemir la triste forest Qui languissoit toute nuë,  Veufve de tant de beautez  Que les venteuses tempestes  Briserent depuis les festes  Jusqu'aux piedz acraventez. Où sont ces chesnes superbes, Ces grands cedres hault montez  Quy pourrissent leurs beautez  Parmy les petites herbes ?  Où est ce riche ornement,  Où sont ces espais ombrages  Qui n'ont sçeu porter les rages  D'un automne seulement ? Ce n'est pas la rude escorce  Qui tient les trons verdissans : Les meilleurs, non plus puissans,  Ont plus de vie et de force,  Tesmoin le chaste laurier   Qui seul en ce temps verdoie  Et n'a pas esté la proie  D'un yver fascheux et fier. Quant aussi je considere  Un jardin veuf de ses fleurs,  Où sont ses belles couleurs  Qui y florissoient naguere,  Où si bien estoient choisis  Les bouquets de fleurs my escloses,  Où sont ses vermeilles rozes  Et ses oillets cramoisis ? J'ai bien veu qu'aux fleurs nouvelles,  Quant la rose ouvre son sein,  Le barbot le plus villain  Ne ronge que les plus belles : N'ay je pas veu les teins vers,  La fleur de meilleure eslitte,  Le lys et la margueritte,  Se ronger de mille vers ? Mais du myrthe verd la feuille  Vit tousjours et ne luy chault  De vent, de froit, ny de chault,  De ver barbot, ny abeille  Tousjours on le peut cuillir  Au printemps de sa jeunesse,  Ou quant l'yver qui le laisse  Fait les autres envieillir. Entre un milion de perles  Dont les carquans sont bornez  Et dont les chefz sont ornez  De nos nimphes les plus belles,  Une seulle j'ai trouvé  Qui n'a tache, ne jaunisse,  Ne obscurité, ne vice,  Ni un gendarme engravé. J'ay veu parmi nostre France  Mille fontaines d'argent,  Où les nimphes vont nageant  Et y font leur demourance ;  Mille chatouilleux zephirs  De mille plis les font rire : Là on trompe son martire  D'un milion de plaisirs. Mais un aspit y barbouille,  Ou le boire y est fiebvreux,  Ou le crapault venimeux  Y vit avecq' la grenoille.  Ô mal assise beauté !  Beauté comme mise en vente,  Quand chascun qui se presente  Y peut estre contenté ! J'ay veu la claire fontaine  Où ces vices ne sont pas,  Et qui en riant en bas  Les clairs diamens fontaine :  Le moucheron seulement  Jamais n'a peu boire en elle,  Aussi sa gloire immortelle Florist immortellement. J'ai veu tant de fortes villes  Dont les clochers orguilleux  Percent la nuë et les cieux  De piramides subtiles,  La terreur de l'univers,  Braves de gendarmerie,  Superbes d'artillerie,  Furieuses en boulevers : Mais deux ou trois fois la fouldre  Du canon des ennemis  A ses forteresses mis  Les piedz contremont en pouldre : Trois fois le soldat vengeant  L'yre des Dieux alumée,  Horrible en sang, en fumée, La foulla, la sacageant. Là n'a flory la justice,  Là le meurtre ensanglanté  Et la rouge cruauté Ont heu le nom de justice,  Là on a brisé les droitz,  Et la rage envenimée  De la populace armée A mis soubz les pieds les loix. Mais toy, cité bien heureuse  Dont le palais favory  A la justice cheri,  Tu regne victorieuse : Par toy ceux là sont domtez  Qui en l'impudique guerre  Ont tant prosterné à terre De renoms et de beautez. Tu vains la gloire de gloire,  Les plus grandes de pouvoir,  Les plus doctes de savoir,  Et les vaincueurs de victoire,  Les plus belles de beauté,  La liberté par la crainte,  L'amour par l'amitié sainte, Par ton nom l'eternité.
                
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