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Stéphane Mallarmé

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Stéphane Mallarmé Fils et petit-fils de fonctionnaire, élevé par une regrettable grand-mère, Mallarmé sent croître en lui de bonne heure une révolte qui ne trouve pas son point d'application. La société, la Nature, la famille, il conteste tout, jusqu'au pauvre enfant pâle qu'il aperçoit dans la glace. Mais l'efficacité de la contestation est en raison inverse de son étendue. Bien sûr, il faut faire sauter le monde : mais comment y parvenir sans se salir les mains. Une bombe est une chose au même titre qu'un fauteuil empire : un peu plus méchante, voilà tout ; que d'intrigues et de compromissions pour pouvoir la placer où il faut. Mallarmé n'est pas, ne sera pas anarchiste : il refuse toute action singulière ; sa violence ­ je le dis sans ironie ­ est si entière et si désespérée qu'elle se change en calme idée de violence. Non, il ne fera pas sauter le monde : il le mettra entre parenthèses. Il choisit le terrorisme de la politesse ; avec les choses, avec les hommes, avec lui-même, il conserve toujours une imperceptible distance. C'est cette distance qu'il veut exprimer d'abord dans ses vers. Au temps des premiers poèmes, l'acte poétique de Mallarmé est d'abord une recréation. Il s'agit de s'assurer qu'on est bien là où l'on doit être. Mallarmé déteste sa naissance : il écrit pour l'effacer. Comme le dit Blanchot, l'univers de la prose se suffit et il ne faut pas compter qu'il nous fournira de lui-même les raisons de le dépasser. Si le poète peut isoler un objet poétique dans le monde, c est qu'il est déjà soumis aux exigences de la Poésie ; en un mot il est engendré par elle. Mallarmé a toujours conçu cette "vocation" comme un impératif catégorique. Ce qui le pousse, ce n'est pas l'urgence des impressions, leur richesse ni la violence des sentiments. C'est un ordre : "Tu manifesteras par ton oeuvre que tu tiens l'univers à distance." Et ses premiers vers, en effet, n'ont d'autre sujet que la Poésie elle-même. On a fait remarquer que l'Idéal dont il est sans cesse question dans les poèmes reste une abstraction, le travestissement poétique d'une simple négation : c'est la région indéterminée dont il faut bien se rapprocher quand on s'éloigne de la réalité. Elle servira d'alibi : on dissimulera le ressentiment et la haine qui incitent à s'absenter de l'être en prétendant qu'on s'éloigne pour rejoindre l'idéal.

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