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Stéphane MALLARME (1842-1898) - Hérodiade - Cantique de saint Jean

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Stéphane MALLARME (1842-1898) - Hérodiade - Cantique de saint Jean Le soleil que sa halte Surnaturelle exalte Aussitôt redescend Incandescent Je sens comme aux vertèbres S'éployer des ténèbres Toutes dans un frisson A l'unisson Et ma tête surgie Solitaire vigie Dans les vols triomphaux De cette faux Comme rupture franche Plutôt refoule ou tranche Les anciens désaccords Avec le corps Qu'elle de jeûnes ivre S'opiniâtre à suivre En quelque bond hagard Son pur regard Là-haut où la froidure Éternelle n'endure Que vous le surpassiez Tous ô glaciers Mais selon un baptême Illuminée au même Principe qui m'élut Penche un salut.

« Introduction. Ce poème se rattache au cycle d'Hérodiade.

Dans la « scène » avec la nourrice, Mallarmé associait de blanches visions à l'image d'une héroïne encore vierge.

Il songe ici à Hérodiade devenue impure, à « celle qu'un sang farouche et radieux arrose », comme il l'a désignée déjà dans le poème intitulé Les Fleurs, à celle qui fit décapiter Saint Jean-Baptiste, trop ardent à dénoncer son union honteuse avec son oncle Hérode Antipas.

Dans ce « Cantique », la victime est devenue bourreau; sa tunique, autrefois blanche comme neige, est désormais souillée de gouttes sanglantes.

En même temps, l'hiver fait place à l'été, plus exactement au solstice d'été, car c'est le 24 juin que la fête du martyr est aujourd'hui célébrée.

La coïncidence entre ce phénomène naturel du solstice et cette commémoration religieuse fournit la clef de ce poème obscur certes, mais où aucun mot n'est employé au hasard. Le texte. Les premiers vers définissent le solstice d'été.

La déclinaison du soleil par rapport à l' équateur cesse de croître et passe par un maximum avant de décroître.

Les termes sont pris dans leur sens concret, et non dans leur sens figuré : l'astre semble immobile au-dessus de la nature (halte surnaturelle) à la plus grande hauteur par rapport à la terre (exalte).

Mais aussitôt, le jour de la Saint-Jean, précisément, commence le- déclin.

Ainsi la strophe décrit une ascension suivie d'une descente.

Ce double mouvement va être celui du poème tout entier : le poète va suggérer un mouvement analogue, celui de la tête coupée, qui est-projetée vers le ciel, puis redescend. La seconde strophe évoque la décollation.

L'adverbe comme permet d'imaginer, en apportant une nuance d'imprécision, le désordre organique, le trouble violent du système nerveux au moment où le coup est assené.

Mallarmé parvient à suggérer cet envahissement de la mort (s'éployer des ténèbres) sensible en un même instant (à l'unisson) à tous les endroits du corps à la fois (toutes dans un frisson).

Dans la troisième strophe, l'ascension commence.

La tête est surgie : elle s'élève au-dessus du tronc décapité, telle une vigie dans une position dominante.

Le mot vigie est justifié, car les yeux du martyr demeurent ouverts.

Les vols de l'arme qui a provoqué la décollation sont définis par le geste du bourreau qui, en un grand élan, a porté le coup; et ces vols sont triomphaux, parce qu'ils annoncent le triomphe céleste du saint.

Sans doute ne s'agit-il pas à proprement parler d'une faux, mais d'une hache.

Le substantif faux éveille, il est vrai, traditionnellement, l'image de la mort.

Chénier, dans La Jeune Captive, écrivait : « L'épi naissant mûrit de la faux respecté »; il comparait ainsi l'instrument de la moisson à la lame de la guillotine.

Mallarmé, plus hardi, substitue un terme à l'autre. Physiologiquement, il s'est produit une rupture franche entre la tête et le corps.

Mais le poète, grâce à cette expression, insinue une autre idée.

Le saint a lutté toute sa vie contre les tentations de la chair : de perpétuels désaccords ont marqué la cohabitation du corps avec l'âme.

Or, le siège de l'âme est dans la tête; et cette tête, maintenant, s'envole, comme attirée par le ciel.

C'est une consécration définitive : les désaccords n'ont plus de raison d'être; ils sont refoulés; ils sont même, littéralement, tranchés.

A la fin de la quatrième strophe, il convient, pour l'intelligence du texte, de supposer un point.

La proposition commençant par Qu'elle est exclamative; elle implique un souhait : puisse cette tête habituée à s'exalter (ivre) par des pratiques telles que le jeûne prolonger cette ascension (s'opiniâtre) jusqu'au ciel.

C'est le regard qui la guide vers les hauteurs sublimes; ainsi peut-on écrire qu'elle le suit.

Ce regard est pur, car il reflète la pureté céleste; mais le bond est un peu éperdu, tant l'aventure est brutale et singulière; l'indéfini quelque marque cette singularité. Dans la sixième strophe est désigné le terme imaginaire de l'ascension, une région éthérée qui domine tous les glaciers. Mais la tête n'ira pas jusque-là.

Sans doute s'immobilise-t-elle un instant, comme le soleil au zénith; puis elle redescend sur la terre. Ainsi, la tête, maintenant, retombe; et l'on croirait qu'elle se penche comme pour un salut.

Dans cette ascension, elle a été illuminée, elle a reçu les rayons célestes, comme au jour du baptême qui élut saint Jean, qui en fit une créature de Dieu.

Le même principe présida au sacrement du baptême et à la consécration du martyre : c'est à ce principe divin que va l'hommage du salut. Conclusion. L'analyse du poème justifie dans le détail le commentaire que Mallarmé en donna jadis à Paul Valéry : « Le cantique de Saint-Jean, en sept strophes, est le chant de la tête coupée, volant du coup vers la lumière divine.

» Le poète recourt, pour évoquer cette aventure spirituelle, à l'art de l'analogie; et il donne à cette occasion un bel exemple de virtuosité en maniant un rythme strophique particulièrement délié, choisi avec bonheur pour éveiller l'idée d'une ascension enivrante; il fournit en outre un exemple de langage poétique irréductible aux normes communes, sinon indéchiffrable, mais admirablement dense et suggestif.. »

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